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HOMMAGE AU BIENHEUREUX GERARD TENQUE PAR LE CURE DE MARTIGUES (1868)

  • PAROISSE DE MARTIGUES

 Discours Gérard Tenque 

 

"Avec bonheur, Messieurs, je vous revois dans cette église où ont été reprises les louanges trop longtemps interrompues de votre illustre et saint patron ! Avec grande joie, je salue votre drapeau sur lequel brille le nom béni du plus grand de vos aïeux !

 

Enfants de Gérard Tenque ! Qu'elle est belle et radieuse la figure de votre père ; de ce généreux et sublime bienfaiteur de l'humanité souffrante.

 

Ah ! ce n'est pas seulement notre ville qui a eu l'insigne honneur de le voir naître dans son sein ; c’est l'Europe entière ; c'est l'Eglise universelle qui le bénit, qui l’honore, et qui redit toujours son nom avec une respectueuse sympathie !

 

Personne, Messieurs, ne dénie à Martigues la gloire d’avoir vu naître Gerard Tenque dans son sein.

 

Il est vrai qu’au jour de sa naissance, notre ville n’était point encore coquettement assise sur les bords de notre magnifique lac, ni sillonnée par les canaux maritimes qui lui donnent une physionomie si pittoresque, et quelque ressemblance avec la reine de l’Adriatique. [La ville actuelle de Martigues ne date que de 1223. C’est Raymond Béranger IV qui en fit élever les premières constructions. Quant au lieu précis de la naissance de Gérard Tenque, nous ne prétendons pas l’établir dans ce discours.]

 

Mais si elle s’est déplacée durant la première moitié du treizième siècle, au moins est-il certain que le terrain couvert par elle autrefois, est peu distant de celui qu’elle occupe aujourd’hui ; et par conséquent, Gérard Tenque a été le compatriote de ceux de vos aïeux qui vivaient dans la seconde moitié du onzième siècle.

 

Gérard Tenque passa donc les premières années de sa vie à Martigues.

 

C'était, disions-nous pendant la dernière moitié du XIe siècle, époque troublée par de grands désordres, mais pendant laquelle la foi était vive dans les intelligences et exerçait une souveraine influence entre les cœurs. Les parents qui lui donnèrent le jour appartenaient certainement à la classe aisée, puisqu'ils lui fournirent les sommes nécessaires au pèlerinage, alors fort coûteux, de la Terre-Sainte.

 

Un auteur n'hésite même pas à affirmer qu'il appartenait une famille titrée, ce qui n'est nullement opposé à l'opinion de ceux qui le représentent comme négociant, parce qu'à cette époque, le négoce, si nécessaire à la prospérité des Etats, n'était point du tout regardé comme incompatible avec la noblesse.

 

Quoi qu'il en soit, les historiens s'accordent à reconnaître que ce fut un motif de piété qui le fit partir pour Jérusalem, et une pensée de charité l’y reteint.

 

En ces temps reculés, on eut dit qu'une main puissante remuait tout l'Occident, et en précipitait les habitants vers les lieux sanctifiés par la vie et par la mort de Jésus, notre divin Rédempteur.

 

L’entraînement était si général que les Sarrasins, maîtres de la Terre-Sainte, effrayés de ce nombre prodigieux de pèlerins, et craignant qu’ils ne tentassent un coup de main pour la soustraire à leur domination, se livrèrent contre les pèlerins à de grandes cruautés.

 

Puis, le mouvement continuant toujours et résolus à arrêter ce courant, ils frappèrent l’entrée de Jérusalem d’un impôt si lourd, que le plus grand nombre des pèlerins ne pouvaient le payer, et étaient réduits à errer autour des murailles. On les voyait, exténués de fatigue, touchant au terme de leur voyage, et ne pouvant satisfaire l’ardent désir qui les avait arrachés à leurs lointains foyers.

 

En proie aux plus cruelles privations, ils tendaient aux passants leurs mains inhabiles à mendier, pour réaliser la somme exigée.

 

La fatigue, la faim, le climat si différent de celui de leur patrie, les réduisaient bientôt aux plus lamentables extrémités. Les uns languissaient dévorés par la fièvre, d’autres mouraient en dirigeant leurs derniers regards vers les sommets des édifices élevés sur le tombeau du Sauveur.

 

Ceux mêmes qui, plus heureux, parvenaient à se procurer la somme exigée, n’étaient pas mieux traités, car après avoir satisfait leur dévotion, ils ne trouvaient dans la ville aucune maison qui s’ouvrit devant eux pour les abriter.

 

C’est dans ces circonstances que, plus favorisé du côté de la fortune, Gérard Tenque arriva en Palestine et entra dans Jérusalem.

 

Que se passa-t-il dans ce grand cœur à la vue des humiliations dont un si grand nombre de ses contemporains et de ses frères étaient victimes ? Dieu seul en fait témoin ; mais ce que nous savons c'est qu'aussitôt une pensée héroïque jaillit dans son intelligence, et qu'après qu'il l’eut méditée devant le tombeau de celui qui s'est immolé pour le salut de tous les hommes, il se dévoua lui-même pour soulager de si affreuses souffrances.

 

 A cette heure solennelle, sa pensée se dirigea sans doute vers Martigues, sa ville natale, où des parents et des amis attendaient impatiemment son retour ; mais ce ne fut que pour leur adresser à tous un tendre et dernier adieu.

 

Quelques marchands de Melphi, petite ville d’Italie, avaient, depuis peu de temps, obtenu du calife d’Egypte, alors souverain de la Terre-Sainte, la concession de terrain attenant au Saint-Sépulcre, sur lequel ils avaient d'abord édifié une maison de prières, et un peu plus tard, une autre maison pour y loger les pèlerins.

 

C'est dans ce dernier asile que s'enferma Gérard, pour y soigner les pauvres et les malades.

 

Ce n’était point un sentiment de commisération toute humaine qui l’animait ; non certes. Eclairé dès son enfance par les purs enseignements du Christianisme, il savait que Dieu seul est l'auteur et le soutien d'une inspiration généreuse ; et c'est pourquoi son dévouement à servir les pèlerins et les malades était constamment alimenté par différents exercices de religion, dont il s'acquittait avec une perfection angélique.

 

Sa vertu, quoique toujours modeste, ne tarda pas cependant à être remarquée. Ce ne furent pas seulement les religieux du Saint-Sépulcre qui en furent profondément édifiés, les sarrasins eux-mêmes dont Gérard soignait les malades, sans s'enquérir de leurs sentiments religieux, l’avaient acclamé, et ne cessaient de l'appeler le père des pauvres.

 

Vainement, donc il se cache, vainement il ne témoigne que de l'éloignement pour les distinctions et les dignités, mettant toute sa gloire à s'acquitter des offices les plus vils et les plus abjects de la maison, son mérite le trahit, son humilité même augmente l’estime que ses services lui ont acquis, et le moment étant venu ou l'élection du supérieur doit être renouvelée ; il est placé, à l'unanimité des voix, à la tête de ses frères.

 

Les honneurs, a-t-on dit avec trop de raison, changent la conduite.

 

C’est un des signes de l’infériorité de notre nature. Dans une âme d’élite, comme celle qui animait Gérard Tenque, il ne pouvait en être ainsi.

 

Loin de se prévaloir de la dignité nouvelle pour se permettre un indigne repos, il n’y vit qu’un motif de plus pour activer son zèle. Il savait que la dignité de supérieur est une charge. Il savait encore que l'on obtient toujours plus des subordonnés par l’exemple que par le commandement ; ainsi était-il toujours le premier dans la chapelle, comme dans les salles des malades. Bientôt, sa maison hospitalière fût un théâtre trop restreint pour l'exercice de sa charité ; on le vit s’élancer sur les routes et aller chercher les malades jusque dans les lieux écartés où la pénurie et la fièvre les avait arrêtés.

 

Ainsi vivait-il brûlant de zèle et d'amour pour Dieu et le prochain, lorsqu’en 1099 les Croisés, français pour la plupart, et par conséquent ses compatriotes, entrèrent dans la Palestine, et se présentèrent devant Jérusalem dont il commençait immédiatement le siège. Soupçonneux à l’excès, les sarrasins, qui n'oublient pas l'influence exercée par Gérard, et qui redoutent l’ascendant de son génie, le saisissent et le jettent dans un affreux cachot. Bientôt même se souvenant de ses immenses aumônes qui, d'après leurs calculs, ne peuvent avoir été faites sans de très grandes richesses, ils le somment de leur livrer ses trésors.

 

Ils ignorent la puissance et la fécondité de la prière et du dévouement chrétien ! Ils ne comprennent donc pas que les libéralités de Gérard n'ont eu d'autre source que les bénédictions du ciel ; ils n'accueillent ses réponses que comme des mensonges, ils l'injurient, le maltraitent comme un vil imposteur ; pour le contraindre à satisfaire leur demande, ils le chargent de lourdes chaînes et ils le serrent et lui brisent quelques doigts des mains et des pieds.

 

En proie aux plus vives souffrances, et s'estimant heureux d'avoir été trouvé digne de les entourer pour l'amour de Jésus-Christ, Gérard n’ouvre guère son cœur ni à des sentiments de vengeance, ni seulement au murmure. Il se contente de prier ; il espère et son âme est toujours calme et sereine. L'heure de la délivrance arrive enfin. […]

 

Gérard ne cesse d'élever son cœur et ses bras vers le ciel. Afin d'être plus facilement exaucé, il assemble ses pauvres et ses infirmes dans la chapelle, il offre au Seigneur leurs prières qu'il sait lui être toujours agréables, et bientôt une victoire décisive délivre la Palestine. A l'honneur de mon pays,  je ne dois pas oublier de dire que ce fut surtout la bravoure des provençaux qui décida du sort heureux de cette bataille.

 

Mais que sont les guerres, même les plus légitimes et les plus justes, que de véritables fléaux ? Que de sangs généreux, elles font répandre ! Que d'horribles blessures, elles causent ! Grandes fut donc, après le combat, l'affluence vers l'hôpital de Gérard ; mais non moins grande fût sa charité ! Tous les blessés furent reçus par lui, et aucun ne manquait des secours corporels et spirituels que son état réclamait.

 

Un pareil dévouement aurait certes suffi pour assurer à Gérard Tenque les éloges et les bénédictions de ses contemporains et de la postérité la plus reculée. Mais, Messieurs, les Saints ne sont pas des hommes ordinaires. Absorbés en Dieu dont les regards embrassent tous les temps ; leurs aspirations, leurs désirs participent, en quelque sorte, à son essence infinie, et leurs œuvres ont une durée que leur mort n’interrompt pas. […]

 

Parmi ces valeurs d’élite, Gérard Tenque brille du plus vif éclat.

 

Dieu lui a mis au cœur de perpétuer son œuvre, et il fonde un ordre de Religieux dont tous les membres s'obligeront, par des vœux solennels, à continuer les admirables et saints exercices de charité qu’il pratique dans son hôpital. Sa maison primitivement dédiée à saint Jean-L'aumônier, patriarche d'Alexandrie, est placée par lui sous le patronage de saint Jean-Baptiste, parce qu'une véritable tradition lui a appris que le lieu où ils se trouve, est le même que celui où se retirait pour prier, le père du Saint Précurseur ; et c'est pour cela que ses enfants seront connus sous le nom d'hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.

 

Bientôt il a fait passer dans les cœurs de ses confrères le beau feu qui embrase le sien, et prosterné, avec eux, devant Luitpert, patriarche de Jérusalem, avec eux, il se lie par des vœux perpétuels. Ainsi se trouve fondé cet Ordre illustre qui doit se répandre si rapidement, et qui bientôt remplira le monde entier d'admiration. Déjà les vocations se multiplient, et ici encore ce sont les Provençaux qui se montrent les plus ardents à s'enrôler sous la noble bannière de Gérard, et à le seconder dans ses dessins miséricordieux ; ce qui assure à notre pays une distinction considérable et fait que la langue de Provence occupera toujours le premier rang dans cet ordre si illustre.

 

Mais si les vocations sont nécessaires pour la perpétuité d'un ordre religieux, les ressources pécuniaires sont pas moins importantes pour sa prospérité. Cette seconde bénédiction ne fut pas refusée au grand œuvre de Gérard Tenque. Déjà Godefroy de Bouillon l’a comme doté par des libéralités abondantes. A son exemple, les pèlerins aisés se dépouillent, en sa faveur, d’une partie de leurs richesses, et publient partout, en retournant dans leurs pays, les merveilles du nouvel Institut.

 

En entendant ces récits, les peuples de l'Occident ne se contentent plus d’admirer. Avant même que le nouvel établissement ait reçu la solennelle approbation du chef de l'Eglise, ils sollicitent des fondations pour leurs principales villes, et si Gérard Tenque n’est point encore en mesure d'accéder à tant de vœux qui lui sont exprimés, au moins le sentiment patriotique, toujours si ardent dans son âme, ne lui permet-il pas d'opposer un refus à la demande des Provençaux ses frères. Une première colonie de ses religieux se rend donc à Aix, et les monuments encore debout de Saint-Jean-de-Malte attestent la générosité et la magnificence avec laquelle elle fut reçue. Cette première fondation fut bientôt suivie d'une seconde qu’obtint la ville de Saint-Gilles, encore dans le midi de la France, et de quelques autres dont furent favorisées des villes d'Italie et de Sicile.

 

Ces événements donnaient à l'œuvre de Gérard Tenque une sorte de consécration populaire. Aussi la demande d'érection canonique qu'il adressa bientôt à Rome fut-elle immédiatement accueillie avec ferveur, et le pape Pascal s'empressa-t-il de l'accorder avec de magnifiques éloges, dans une Bulle souscrite par lui et par un grand nombre de Cardinaux et de Prélats. Par cet acte, la règle de Gérard Tenque, si pleine de sagesse, de piété et de dévouement pour les pauvres et les malades plus pleinement approuvée, et la supériorité de son Ordre lui fit confirmée pour toute sa vie.

 

Certain alors que son œuvre ne mourra pas avec lui, Gérard Tenque se livre avec une nouvelle ardeur aux inspirations de son âme pour le soulagement de toutes les misères physiques. Hélas ! Les occasions d'exercer son zèle ne lui font pas défaut. Une année entière n'est pas encore écoulée depuis l’érection de son Institut en Ordre religieux et voilà qu'un effroyable tremblement de terre ravage la Palestine et la Syrie presque tout entière. Que de ruines amoncelées ! Que de sujets de deuil, de désolation et de désespoir ! Là où l'œil du voyageur admirait des bourgs heureux et des villes florissantes, il n'y a plus que des tas de pierre, ou des édifices lézardés et chancelants que l'on ne peut regarder sans commisération et sans effroi !

 

Au milieu de cet immense désastre, que fait Gérard Tenque ? La peur le retient-elle enfermé dans son hôpital ? Non certes. Les ravages s'opèrent encore, et déjà, il parcourt toutes ces régions désolées. Bientôt, il revient ; mais il n’est point seul. Il amène avec lui tous les infortunés qui n'ont plus d'abri, tous les orphelins qui ont plus de pères. Il les loge dans son hôpital et il leur fournit à tous une nourriture saine et abondante.

 

Cependant son cœur embrasé des flammes d'un véritable d'une véritable charité ne se borne pas à ces soins corporels. C’est peu pour lui d’être infirmier et père ; il devient apôtre. […]

 

Gérard Tenque n'a pas au cœur le plus ardent désir que d’imiter le Sauveur Jésus, ce divin modèle. Aussi, après avoir soulagé tant et de si affreuses misères, s’offre-t-il à Dieu et que sa belle âme portée sur les ailes de la prière et de la plus héroïque charité, alla recevoir dans le ciel la couronne promise à la vertu !

 

Ce fut en l'an 1118 et à Jérusalem, principal théâtre de son dévouement pour les pauvres, que Gérard Tenque offrit ce dernier et sublime sacrifice agréé par le Seigneur !

 

A peine la nouvelle de sa mort fut-elle répandue, que la ville sainte fut tout entière plongée dans le deuil, et que de toutes parts, on accourut pour contempler une dernière fois les traits vénérés du père des pauvres et malades. Des larmes abondantes coulèrent autour de son cercueil ; mais en le regrettant, on se sentait consolé, parce qu'on avait la conviction que du haut du ciel, il ne cesserait jamais de protéger ceux qu'il avait tant aimés pendant son passage sur la terre !

 

A cette époque reculée on ne suivait pas encore les longues procédures qui précèdent aujourd'hui la Béatification et la Canonisation. C'était la voix du peuple qui décernait les honneurs du culte public, et l'approbation des Pontifes de l’Eglise suffisait pour que ce culte fût regardé comme légitime.

 

Gérard Tenque avait marché avec trop de perfection sur les traces de notre doux et miséricordieux Sauveur, pour n’être pas aussitôt acclamé Saint. A peine lui eut-on rendu les honneurs de la sépulture, que ces traits furent reproduits par la peinture et la gravure. Ses images se répandirent partout, et toujours avec l'auréole de gloire, alors regardée comme l'attribut d'une évidente sainteté. On les voyait tantôt redonnant la vue aux aveugles ; tantôt présentant un breuvage à des malades, et leur rendant la santé ; ici rassurant des peuples consternés au milieu des ruines de leurs villes ; là, dans les transports si fréquents de son amour pour Dieu. Ce ne fut que plus tard, qu'afin de glorifier ce Fondateur d’un ordre devenu si illustre, on le représenta à côté d'un crucifix, tenant déployé l'étendard des Chevaliers de Rhodes et de Malte.

 

 Ce n'est pas tout. Le jour anniversaire de son bienheureux trépas est célébré comme une fête solennelle, non seulement par sa famille religieuse, mais encore par les Carmes, les Augustins et les Tertiaires de Saint-François qui tous le révèrent et l'honorent comme un Saint. Une distinction plus rare lui est même plus tard décernée. Les habitants de Vitrolles le choisissent pour le patron de leur pays, et ils ne cessent, d'âge en âge, de célébrer annuellement sa fête avec la plus grande solennité.

 

A mesure que les siècles s'écoulent, de grands changements s'opèrent en Palestine, et un jour arrive où les enfants de Gérard Tenque doivent s'éloigner de Jérusalem. Avec eux, ils embarquent les reliques de leur saint fondateur, d'abord à Rhodes, puis à Malte, enfin en Provence. A peine le sacré dépôt a-t-il touché le sol de la patrie, que les dignitaires s’assemblent et délibèrent pour désigner l’heureuse ville qui aura l'insigne honneur de le recevoir et de le garder. « Si Martigues, lieu de sa naissance, dit un historien, d'ailleurs très favorable à notre ville, avait eu une maison de son ordre, c'est certainement dans son sein que la précieuse relique eut été déposée et gardée ; » mais, quoiqu'en dise une chronique locale, vos Pères qui auraient dû se montrer les plus empressés pour appeler parmi eux les reliques du plus illustre de leurs ancêtres, ayant toujours négligé ce soin, ce fut Manosque qui fut désignée pour être heureuse dépositaire.

 

 

Ouvre-lui donc tes portes, antique cité des Alpes ! Tu ne lui a pas donné le jour, tu ne l'as pas nourri dans ton sein ; mais ses ossements tout imprégnés de miséricorde et d’amour te portent bonheur ; et les hommages dont tu environneras son glorieux cercueil seront pour toi une source incessante de précieuses faveurs. Quand la sécheresse qui souvent désolent nos contrées sera pour toi imminente ; quand tu seras menacée d'une épidémie ou de tout autre fléau, tu l’invoqueras et son cœur facile à émouvoir au spectacle des misères humaines, t’obtiendra du Seigneur les plus prompts secours.

 

Tu ne possèderas cependant pas toujours ce trésor tout entier ! Ton bonheur excite enfin la jalousie des Compatriotes de Gérard Tenque, et d’ardente suppliques favorablement accueillies, les mettent en possession d'une partie considérable de son saint corps.

 

Oh ! Qu’il fut beau le jour où ces reliques entrèrent dans notre ville, et vinrent enrichir nos trois églises paroissiales. Jamais pareilles fêtes ne furent célébrées à Martigues. Ce fut plus qu'une fête : ce fut un véritable et magnifique triomphe ! Vous en avez un éloquent témoignage sous vos yeux dans ce beau reliquaire, monument de l'admiration et de la piété de vos Pères ; et ce n'est pas, j'en ai la certitude, sans une joie bien vite mêlée d'attendrissement, que vous y lisez ces paroles de l'Ecriture sainte si bien appliquée : Reversus est in patriam suam : Il est retourné dans sa patrie !

 

Admirable destinée des Saints ! Dieu ne se contente pas, en attendant le grand jour de la résurrection générale, de récompenser leurs âmes dans le ciel ; il veille encore sur leurs restes mortels et il les environne d'honneur et de gloire. « Qui eut dit à Gérard Tenque, s'écria un historien, le jour où il partait d’ici sans bruit, et comme un homme ordinaire, pour faire le pèlerinage de la Terre Sainte, qu’après plus de sept siècles, une partie de sa dépouille mortelle serait solennellement rapportée ; qu’elle y serait reçue comme celle d’un héros, d'un triomphateur, d'un Saint ? et qu’elle y seraient constamment exposée à la vénération de ses concitoyens ? C'est Dieu, Messieurs, qui a dirigé tous ces événements, afin de nous apprendre qu'il n'y a pas de richesse, ni de gloire comparable à celle que procure la vertu ; que la vraie charité, l'amour de Dieu et du prochain, est le plus grand des biens et qu'il n'y a pour l'homme ici-bas, de distinction ni de bonheur plus enviables.

 

Et maintenant que vous venez d'entendre le récit de la vie de Gérard Tenque ; maintenant que vous connaissez ses vertus, sa sainte mort et les hommages qui l’ont suivie, que ferez-vous, Messieurs ? Vous contentez-vous d'avoir donné quelque retentissement à cette fête, et du désir de la transmettre à vos enfants et aux arrière-neveux ? Est-ce là, à votre avis, tout ce que vous devez à la mémoire du plus grand et du plus saint de vos aïeux ? Non, sans doute, vous ne le pensez pas. Vous savez tous que si Gérard Tenque a été et est encore le plus grand honneur de votre ville, ce lustre qui vous inspire un légitime orgueil, vous impose des obligations ; qu’ainsi qu'on le répète souvent : noblesse oblige. Que ferons-nous tous, Messieurs ? Que ferez-vous spécialement, vous qui vous honorez de vous être enrôlés sous sa glorieuse bannière ?

 

Je ne sais, Messieurs, si la majesté de cette chaire permet un souvenir classique d'un temps où le christianisme n'était encore que très peu connu dans le monde, mais je ne résiste pas au bonheur que j'éprouve de vous faire entendre quelques paroles du plus grave et du plus profond des historiens de l'antique Rome. Vous y trouverez, je l'espère, la meilleure réponse qui puisse être faite à la question que nous venons de poser. Tacite, donc, dans l’immortel éloge qu’il nous a laissé d’Agricola, adresse en ces termes la parole à son héros : C’est en  rassemblant que nous t’honorerons ! Tel est le seul véritable hommage ; telle est la piété qu'imposent les liens les plus étroits !

 

Montrez-vous donc, Messieurs, de fidèles imitateurs du plus grand, du plus illustre de vos ancêtres ! De votre saint et bien-aimé patron ! Comme lui, soyez compatissant pour les pauvres et les malades ; comme lui joignez aux actes de la charité corporelle les actes plus précieux et méritoires de la charité spirituelle ; comme lui, aimez Dieu et le prochain jusqu'au dévouement ; et comme lui après l'exercice de ces belles vertus, vous en recevrez l'éternelle récompense dans le ciel ! Ainsi soit-il."

 

Abbé Ollivier

Curé de Jonquières à Martigues

1868 La Madeleine14

 

 

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