Dans une conférence sur Le Mystère de Noël, qu’Édith Stein (1891-1942) prononça le 31 janvier 1933, dans une Allemagne en train de céder à la folie du nazisme, la jeune femme, "prussienne et juive", comme elle aimait à se définir, pressentait bien la douleur qui commençait à s’abattre sur son peuple. Dans cet hiver troublé, elle voulait communier à cette ambiance simple et joyeuse de Noël, dont la force d’amour dépasse de loin le seul cercle des chrétiens : « Quand les jours se font courts, quand les premiers flocons d’un véritable hiver se mettent à tomber, timidement, silencieusement montent en nous les premières pensées de Noël. De ce simple mot se dégage un tel charme que nul cœur ne peut lui résister. Même les fidèles d’une autre foi, les incroyants, ceux pour qui l’histoire de l’enfant de Bethléem ne signifie rien, se préparent à la fête et se demandent comment, ce jour-là, faire jaillir autour d’eux une étincelle de joie. »
Mais elle savait bien que la joie de Noël n’est pas réductible à une superficielle euphorie de consommation, à l’arrière-goût souvent triste et empâté. Elle est plutôt une invitation à se mettre courageusement en route, comme les bergers et les mages, puis comme les disciples, en acceptant peu à peu que le Prince de la paix soit aussi un signe de contradiction. La liturgie du temps de Noël, fait remarquer Édith Stein, nous en prévient à sa façon : « Déjà, au lendemain de Noël, l’Église dépose ses ornements blancs pour revêtir la pourpre du sang et, au quatrième jour, le violet du deuil. Étienne, premier martyr à suivre le Seigneur dans sa mort, et les saints Innocents, les nourrissons de Bethléem et de Juda impitoyablement massacrés, font cortège à l’Enfant de la crèche. Qu’est-ce que cela signifie ? Où donc est l’allégresse des cohortes célestes, où est la tranquille félicité de la nuit sainte ? Où est la paix sur la terre ? »
Au Carmel de Cologne, où elle entra le 15 octobre 1933, Édith Stein, qui devait mourir quelques années plus tard déportée à Auschwitz, prit le nom de sœur Teresia benedicta a cruce, sœur Thérèse bénie par la Croix, suggérant ainsi l’étonnant contraste de toute vie chrétienne. « Les mystères du christianisme forment un tout indivisible. Si l’on se plonge dans l’un, on est conduit à tous les autres. C’est ainsi que le chemin qui commence à Bethléem mène immanquablement au Golgotha, de la crèche à la croix. »
Canonisée par Jean-Paul II le 11 octobre 1998, Édith Stein, proclamée patronne secondaire de l’Europe, peut nous aider à célébrer ce Noël 2015 dans l’espérance solidaire et invincible de la foi. Tout homme, toute femme, sans exception, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est né. Et pour qui, miséricordieux comme le Père, il donnera sa vie, afin qu’en toute existence humaine, en dépit du mal et des larmes, rayonne un jour "la vive flamme d’amour" que le sourire de l’enfant de Bethléem est venu allumer sur la terre.
Joyeux Noël à tous !
+ Jean-Marc Aveline
Evêque auxiliaire de Marseille