LE PROPHETE ET L'AMANDIER
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Cette année, le Carême commence tôt ! Le mercredi des Cendres va nous saisir à la sortie de l’Octave de la Chandeleur : à peine le temps de ranger la crèche et de goûter quelques navettes qu’on sera déjà en route vers Pâques. Et comme le début de l’hiver fut plus doux qu’à l’ordinaire, la nature elle aussi semble avoir pris les devants : sur le chemin qui monte à la Bonne Mère par le vallon du Bois sacré, on peut voir depuis quelques semaines, tel un veilleur imprudent mais fidèle, un bel amandier en fleurs.
C’est que l’amandier, qui reprend vie avant tous les autres, est depuis toujours l’arbre des veilleurs. La même racine, shéqed, désigne en hébreu à la fois le veilleur et l’amandier. Pas étonnant que les fleurs d’amandier aient été choisies pour veiller sur l’Arche d’alliance ! Sur chacune des branches du candélabre qui devait se trouver dans l’Arche, le Seigneur avait en effet prescrit à Moïse de faire « trois calices en forme de fleurs d’amandiers » (Ex 25, 33, 34 ; 37, 19, 20). Mais c’est surtout au temps de Jérémie (VIIe-VIe siècle avant Jésus Christ), en une période trouble et dramatique pour le peuple juif, que la prophétie de l’amandier ouvrira les cœurs à l’espérance.
« Que vois-tu, Jérémie ? », avait demandé le Seigneur (Jr 1, 11). C’était la première question que Dieu posait à son prophète. Et Jérémie avait répondu : « Je vois une branche d’amandier [littéralement : de l’arbre veilleur] ». Et le Seigneur lui avait dit : « Tu as bien vu, car je veille sur ma Parole pour l’exécuter. » (Jr 1, 11-12). Mais pour Jérémie, cette image bucolique n’était pas tout à fait rassurante. Car le Seigneur venait de lui dire le programme de cette « Parole » : « Vois, je t’établis en ce jour sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et pour abattre, pour perdre et pour démolir, pout bâtir et pour planter » (Jr 1, 10).
Et pendant quarante ans, comme en un long Carême, Jérémie s’est dévoué à cette Parole de Dieu qu’il avait reçu mission de prêcher. Quarante ans d’interpellations au nom du Seigneur et de lamentations devant le péché de son peuple. Et rien ne s’arrange : de son vivant et à vues humaines, Jérémie n’a connu que l’échec. Son nom est tellement lié à cette réalité du malheur et de la plainte qu’on appelle encore aujourd’hui « jérémiades » les paroles de ceux qui ne cessent de se plaindre !
Et pourtant, les questions de Jérémie, loin d’être des jérémiades, sont pour nous d’une grande actualité. Qu’avons-nous fait de la Parole de Dieu, de ses exigences et de ses interpellations ? Qu’avons-nous fait de l’appel du Seigneur à la justice et à la vérité, au partage et à la fraternité ? Qu’avons-nous fait de l’espérance qui nous a été confiée ? Qu’avons-nous fait de la miséricorde par laquelle le Seigneur veut transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair ?
Marcheur en route vers Pâques, n’oublie pas la promesse que Dieu a redite, par la voix de Jérémie, à son peuple perdu et malheureux : « Je sais, moi, le dessein que je forme pour vous – oracle du Seigneur – dessein de paix et non de malheur, qui vous réserve un avenir plein d’espérance » (Jr 29, 11). Regarde les amandiers qui accompagnent ton début de Carême. Comme eux, dans un monde troublé et inquiet, sois veilleur d’espérance et chante, de tout ton cœur et par toute ta vie, la miséricorde du Seigneur !
+ Jean-Marc Aveline
Evêque auxiliaire de Marseille
Eglise de Marseille février