JUSTICE ET MISERICORDE PAR LE PERE BENOIT DELABRE
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Comme l’écrit le pape François dans le Visage de la Miséricorde (cf. les n°20 et 21), « il n’est pas inutile de rappeler le rapport entre justice et miséricorde. » Nous pensons souvent que ces deux notions s’opposent, que la justice ne peut aller de pair avec la Miséricorde, et que la miséricorde rend caduque la justice. Voilà ce qu’écrit le pape François :
« Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. La justice est un concept fondamental pour la société civile, quand la référence normale est l’ordre juridique à travers lequel la loi s’applique. La justice veut que chacun reçoive ce qui lui est dû. Il est fait référence de nombreuses fois dans la Bible à la justice divine et à Dieu comme juge. On entend par là l’observance intégrale de la Loi et le comportement de tout bon israélite conformément aux commandements de Dieu. »
Prenons l’exemple du péché de David, que nous avions dans la deuxième fiche des groupes « Aller au cœur de la foi ». David commet l’adultère avec Bethsabée. Apprenant que celle-ci est tombée enceinte, il cherche à camoufler sa faute, et, pour cela, va jusqu’à commanditer le meurtre du mari de Bethsabée. Dieu révèle alors à David son péché par l’entremise du prophète Nathan. David reconnait : « J’ai péché contre le Seigneur ! ». Nathan lui répond : « Le Seigneur a passé sur ton péché, tu ne mourras pas. Cependant, parce que tu as bafoué le Seigneur, le fils que tu viens d’avoir mourra. » (cf. 2 Samuel 12, 13-14) Comment comprendre cela ? La justice demande la mort de David, car il est coupable de meurtre. Le péché étant reconnu par David, qui se repent, la Miséricorde dit : « Tu ne mourras pas ». Cependant, pour montrer la gravité de la faute, David subira cette peine : son fils mourra. Ici, il s’agit de bien comprendre que, dans la mentalité hébraïque de l’époque, c’est David qui subit la peine, et non son fils. C’est un exemple de justice et de miséricorde dans l’ancienne Alliance.
Le pape François continue au n°21 : « La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde. L’époque de ce prophète est parmi les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu. Le Royaume est près d’être détruit ; le peuple n’est pas demeuré fidèle à l’alliance, il s’est éloigné de Dieu et a perdu la foi des Pères. Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle : il n’a pas été fidèle au pacte, et il mérite donc la peine prévue, c’est-à-dire l’exil. Les paroles du prophète l’attestent : « Il ne retournera pas au pays d’Égypte ; Assour deviendra son roi, car ils ont refusé de revenir à moi » (Os 11, 5). Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu : « Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer » (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit : « Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde ». C’est exactement ainsi. La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle. »
Il s’agit de saisir que la miséricorde ne peut venir qu’après la justice. Nous en faisons l’expérience : lorsque la justice est bafouée, lorsque qu’une personne coupable échappe à la justice, nous sommes scandalisés. Il est nécessaire pour les victimes et la société que les coupables soient déclarés tels, et condamnés à une peine proportionnée à leur faute. Ne pas faire justice n’est pas de la miséricorde, mais un scandale. Mais si la justice suscite la reconnaissance de la faute et le repentir, la miséricorde est appelée à se déployer.
Le pape François continue : « Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon. Cela ne signifie pas dévaluer la justice ou la rendre superflue, au contraire. Qui se trompe devra purger sa peine, mais ce n’est pas là le dernier mot, mais le début de la conversion, en faisant l’expérience de la tendresse du pardon. Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice. (…) Cette justice de Dieu est la miséricorde accordée à tous comme une grâce venant de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. La Croix du Christ est donc le jugement de Dieu sur chacun de nous et sur le monde, puisqu’elle nous donne la certitude de l’amour et de la vie nouvelle. »
Enfin, si quelqu’un a purgé sa peine et reste dangereux pour la société, il est bon que des précautions soient prises. Prenons l’exemple d’un alcoolique qui a provoqué un accident grave. Après sa peine, il ne récupérera son permis de conduire, que s’il donne la preuve qu’il n’est plus alcoolique. C’est là encore une question de justice.
En conclusion, avant de se poser la question de la miséricorde, il s’agit de se demander d’abord si la justice a été remplie.
Benoît DELABRE, curé