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BIENHEUREUX PIERRE CLAVERIE ET SES 18 COMPAGNONS

  • PAROISSE DE MARTIGUES
BIENHEUREUX PIERRE CLAVERIE ET SES 18 COMPAGNONS

Texte du père Jean-Jacques Pérennès (op), directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem,

sur Mgr Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons dont c’est la fête au

 

Une vie à la rencontre de l’autre

 

Pierre Claverie est quelqu’un qui a passé sa vie d’homme à tenter de rencontrer l’autre qu’il avait ignoré toute sa jeunesse. « Nous n’étions pas racistes, seulement indifférents, ignorant la majorité des habitants de ce pays… J’ai pu vivre vingt ans dans ce que j’appelle maintenant une “bulle coloniale”, sans même voir les autres », écrit-il avec lucidité évoquant sa jeunesse dans l’Algérie coloniale où il était né. Toute sa vie a été consacrée à rattraper cette première rencontre ratée, toute sa vie a été habitée par une véritable « passion de l’autre ». Dans l’univers cosmopolite et mondialisé qui est désormais le nôtre, ce défi de la rencontre est plus actuel que jamais. Alors que la mondialisation de l’économie et les réseaux sociaux ont rapproché les hommes, des identités meurtrières refont surface, des barrières se dressent à nouveau entre les peuples, semblant faire reculer les progrès de l’après-guerre (Onu, Europe, etc.). Pierre Claverie nous redit le bonheur qu’il peut y avoir dans la rencontre de l’autre, différent. C’est un message puissant pour des pays tentés par le repli, alors que les migrants frappent à leurs portes.

 

Le musulman est aussi un frère en humanité

 

L’autre qui fait peur est souvent aujourd’hui le musulman. Il y a des raisons objectives à cela : l’essor d’un islam politique, les horreurs d’Al-Qaida et de Daech, la souffrance des chrétiens d’Orient, le poids des clichés dans les médias. Mais la peur du musulman est souvent irrationnelle, viscérale et empêche une rencontre réelle. L’Église d’Algérie a dû faire une véritable conversion après l’indépendance politique du pays en 1962. Alors que sa présence n’était guère justifiée par le petit nombre de fidèles, elle a voulu se mettre au service du peuple algérien et devenir une Église de la rencontre. Mgr Henri Teissier, ancien archevêque d’Alger, ami intime et confident de Pierre Claverie, l’a même appelée « une Église pour un peuple musulman ». « Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue ; non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux », écrit Pierre Claverie qui avait en horreur le dialogue superficiel, de convenance. Le vrai dialogue, à ses yeux, est exigeant, il suppose de reconnaître l’altérité de l’autre et de vouloir s’enrichir de nos différences. La passion de sa vie a été de découvrir ce que son prochain algérien musulman pouvait lui apprendre, y compris dans la recherche de Dieu. Sans syncrétisme, sans unanimisme facile.

 

Le goût de l’amitié et d’une humanité plurielle, non exclusive

 

Méditerranéen par ses origines, Pierre Claverie avait un tempérament chaleureux qui lui a permis de nouer de belles amitiés. Apprenant la langue arabe, il a surtout cherché à « apprendre l’Algérie », à vibrer avec et sentir comme ses amis algériens. Il le fit avec passion lors des décennies de l’après indépendance où tout était à construire dans ce pays. Il y mit tous ses talents et tout son cœur, s’engageant dans des projets de solidarité et de développement. Mais il l’a fait aussi aux heures sombres, lorsque la violence s’est abattue sur le pays, tuant tous ceux et celles qui avaient le goût de ce qu’il appelle « une humanité plurielle, non exclusive », une Algérie où la différence est perçue comme une richesse et non comme une menace. Refusant la prudence et la réserve que ses amis lui conseillaient, Pierre Claverie a dit publiquement sa solidarité avec les Algériens et les Algériennes, écrivains, artistes, intellectuels, qui luttaient pour une Algérie, ouverte, plurielle. Le destin des femmes algériennes lui tenait particulièrement à cœur. Il l’a payé de sa vie. Cette béatification n’est donc pas une façon de mettre à part les victimes chrétiennes d’un drame qui a fait des dizaines de milliers de morts. Ce devrait être au contraire, comme l’a dit Mgr Jean-Paul Vesco, successeur de Pierre Claverie à Oran, une occasion de célébrer la fidélité d’une Église qui a voulu rester solidaire aux temps de l’épreuve et donc de célébrer l’amitié avec les Algériens.

 

Une vie donnée par amour

 

Le sens de ce témoignage doit donc être clair : les 19 « martyrs » de l’Église d’Algérie ne sont pas béatifiés parce qu’ils ont été assassinés, mais d’abord parce qu’ils ont choisi, aux heures du danger, de rester en toute liberté et conscience, malgré les risques, « auprès de l’ami malade, en lui serrant la main, en lui épongeant le front », comme l’écrivit Pierre Claverie après la mort des moines. C’est le témoignage d’amour pour le Christ, pour l’Église et pour le peuple algérien qu’ils ont donné que l’Église veut reconnaître, célébrer en les donnant en exemples à l’Église universelle où tous ceux qui sont en chemin ont besoin de figures qui leur montrent la route.

 

Des figures pour notre temps

 

Béatifier ensemble ces dix-neuf témoins de la foi et de l’amour est riche de sens. Pierre Claverie, Christian de Chergé, le frère Christophe ont beaucoup écrit sur le sens de leur vie donnée. La plupart des autres, surtout les religieuses, ont vécu leur témoignage dans la discrétion et l’humilité, mais c’est absolument le même témoignage qui est donné. L’Église nous offre donc comme exemples des hommes et des femmes dont nous pouvons nous sentir proches. Ce sont des figures de sainteté pour notre temps.

C’est une grâce pour l’Église toute entière. Souhaitons que l’Algérie soit ainsi encouragée dans son travail de guérison et de réconciliation.

 

Éléments biographiques

 

Pierre Claverie est né à Bab el-Oued le 8 mai 1938, dans l’Algérie coloniale. Sa famille résidait dans ce pays depuis cinq générations.

 

Lorsqu’il part en France en 1958, en pleine « bataille d’Alger », pour entreprendre ses études universitaires, il prend conscience d’avoir vécu jusque là dans une bulle coloniale, ignorant l’autre, algérien musulman, vu seulement à travers des clichés. Un intense travail intérieur le conduit à la vie religieuse dans l’Ordre dominicain.

Au terme de ses études de philosophie et de théologie, il revient en Algérie en juillet 1967 et découvre enfin « son » pays. Il se lance avec passion dans la découverte d’un pays nouvellement indépendant, apprenant la langue arabe et se faisant de nombreux amis algériens.

 

Pendant 15 ans, il est avec Mgr Henri Teissier un des plus proches collaborateurs du cardinal Duval, qui avait compris que la nouvelle mission de l’Église d’Algérie était d’être non pas une Église d’ambassade, une survivance du passé, mais une Église pour l’Algérie, une Église algérienne. Sa mission n’est pas de convertir des musulmans, mais d’accompagner un pays qui se reconstruit et de vivre avec les Algériens l’aventure de l’amitié et de la rencontre.

 

Sa clarté d’analyse des situations et sa profondeur spirituelle lui valent d’être choisi le 5 juin 1981 comme évêque d’Oran, un petit diocèse quant à la taille des fidèles chrétiens, mais très riche en nationalités et surtout qui vit en profonde harmonie avec la société algérienne. Lorsque la violence s’abat sur le pays, Pierre Claverie choisit de mettre les structures de son diocèse encore plus au service des besoins de la population algérienne.

 

À l’heure de la violence des années 1990, il fait le choix de parler, en solidarité avec ses amis algériens – intellectuels, artistes, femmes – qui militent pour une Algérie ouverte, non exclusive. Sa propre expérience lui permet de parler avec éloquence du sens de la rencontre et de l’amitié. Au printemps 1996, il publie Lettres et messages d’Algérie. Sa parole courageuse porte au-delà des frontières et lui vaut d’être assassiné le 1er août 1996, quelques semaines après les moines trappistes de Tibhirine, aujourd’hui béatifiés avec lui. À ses funérailles, la population d’Oran est venue massivement pleurer « son » évêque.

 

Le souhait de l’Église d’Algérie est que cette béatification mette en valeur l’amitié que ces témoins de la foi ont voulu vivre avec leurs amis Algériens.

BIENHEUREUX PIERRE CLAVERIE ET SES 18 COMPAGNONS
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