METS UNE GARDE À MES LÈVRES !
-
Hier samedi soir je priais le bréviaire, l’office des Vêpres. Le psaume 140 commence ainsi :
Seigneur, je t’appelle : accours vers moi !
Écoute mon appel quand je crie vers toi !
Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, et mes mains, comme l’offrande du soir.
C’est ce que nous vivons ce matin. Seigneur, je t’appelle : accours vers moi ! Écoute mon appel quand je crie vers toi ! Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, et mes mains, comme une offrande de toute cette souffrance.
Nous aurions dû être dans la joie des appels décisifs des catéchumènes qui seront baptisés à Pâques, mais nous sommes dans une grande détresse, une grande souffrance, car nous sommes maintenant orphelin, votre curé est mort d’une manière dramatique ; j’ai perdu comme prêtre un frère prêtre, et comme évêque un fils prêtre.
Pour ne pas faire peser notre souffrance sur ces jeunes pousses chrétiennes, les catéchumènes, et être pleinement disponible parmi vous, comme votre pasteur, j’ai demandé au père Jean-Dominique, responsable diocésain du Catéchuménat, de me représenter auprès des catéchumènes, en transférant la célébration de l’appel décisif au Laus. Nous sommes bien en union de prière avec notre sanctuaire, je suis certain que Notre-Dame du Laus intercède pour nous auprès de son Fils.
Avec vous, comme le psalmiste, je veux crier à Dieu ma souffrance, notre souffrance, notre incompréhension.
Avec vous, je veux faire monter vers Dieu ma prière, notre prière en offrande.
En ce 1er dimanche du Carême, la Parole de Dieu nous invite à contempler des tentations, celle d’Adam et Eve qui succombent, et Jésus au désert qui résiste à la tentation.
Voyons d’abord la tentation primordiale de nos premiers parents, Adam et Eve, le péché original.
Dieu plante un jardin magnifique. J’imagine bien l’Eden quelque part dans la vallée de la Clarée, ou à Prapic, ou dans votre vallée préférée, qui sera la plus belle de nos montagnes.
Mais dans ce lieu magnifique va se jouer un drame.
Dieu y met Adam et Eve, et leur dit : « Vous pouvez manger de tout, sauf de cet arbre-ci, l’arbre de la connaissance du bien et du mal. »
Le serpent, le fourbe menteur, commence par un mensonge :
« Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » « Non, répond Eve, Dieu a dit que nous pouvons manger de tout sauf de cet arbre », ce qui n’est pas la même chose, interdire tout ou une seule chose.
Le serpent, l’accusateur, répond alors en accusant Dieu : « Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.»
Qu’est-ce que l’auteur du livre de la Genèse entend par « manger du fruit de cet arbre du bien et du mal » : il me semble que c’est finalement vouloir décider soi-même ce qui est bien ou mal.
C’est une tentation pour nous, de vouloir décider ce qui est bien ou mal. Or c’est Dieu qui a fixé le bien et le mal, dans les 10 commandements, en particulier, qui sont comme le mode d’emploi de notre humanité, de nous comme être humain. Ainsi, tu ne tueras point.
Il faut nous redire, et s’il en était besoin, notre souffrance le souligne assez, le suicide n’est pas un bien, n’est pas une force, mais est un cri de désespoir, un péché grave. Ne cherchons pas à appeler bien ce qui est un mal. Vous le savez, vous qui avez vécu ce drame dans votre famille.
Différent est de dire, et il faut nous le redire sans hésitation, la responsabilité est toujours amoindrie, par une telle souffrance psychique, quand tout semble s’effondrer.
C’est la raison pour laquelle l’Eglise permet une célébration à l’église pour des personnes qui commettent ce geste grave. Parce que justement, ils ont le plus besoin de la miséricorde de Dieu. Parce que justement, nous qui restons, avons le plus besoin de la consolation de Dieu. Nous vivrons cela mercredi matin ensemble ici-même, accueil de la miséricorde de Dieu et consolation. Nous invoquerons la miséricorde de Dieu sur notre défunt, et la consolation pour nous-mêmes.
L’Evangile nous décrit comment Jésus a voulu vivre les tentations au désert.
A la différence d’Adam et Eve, Jésus résiste au tentateur. Je ne vais pas ce matin, développer chacune des trois tentations, mais retenons que le Fils de Dieu a accepté d’être tenté. Que le tentateur essaiera toujours de nous tenter. Mais Jésus a vaincu le tentateur … pour nous, pour moi, c’est pourquoi nous pouvons cheminer avec courage et confiance dans notre vie.
Mais ne soyons pas dupes, le tentateur veut profiter du drame que nous vivons.
Dans le même psaume des vêpres d’hier soir, le psalmiste évoquait une tentation que j’imagine bien présente aujourd’hui pour nous : « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille au seuil de ma bouche. » Oui, nous avons besoin de parler, et il est bon de parler, il est bon de pleurer ensemble. Le diocèse va proposer aux prêtres, aux paroissiens, des lieux de parole, encadrés par des professionnels. Vous pouvez si le besoin vous semble urgent, vous adresser dès demain lundi au CAC, Centre d’accueil et de Consultation, 12 Rue Capitaine de Bresson.
Il y a le besoin de parler. Mais il peut y avoir la tentation de trop parler, de vouloir expliquer l’inexplicable. Surtout quand on ne sait rien.
Je ne sais pas, personne ne sait, la vérité sur ce qui a pu pousser notre curé à ce geste extrême. J’invite chacun, à ne pas écrire, à ne pas tirer de conclusions hâtives et non avérée, même et surtout quand on est journaliste, alors qu’on ne sait rien, car cela ne correspond pas à la vérité, et car cela augmente la souffrance d’une famille douloureusement atteinte. Le diocèse se désolidarise complètement de ce qui a pu être publié. J’invite chacun d’entre nous à mettre une garde à ses lèvres, à veiller au seuil de sa bouche. « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille au seuil de ma bouche.»
Une autre grande tentation est la culpabilité. Qu’est-ce que je n’ai pas fait, quel indice n’ai-je pas vu, que n’ai-je pas dit, que n’ai-je pas assez accompagné ? Là aussi, « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille au seuil de ma bouche. »
La prière, la communion entre nous, et la garde des lèvres, voilà trois axes pour vivre ces jours à venir, pour cette première semaine de Carême.
Nous enfoncer dans la prière, et pour cela tenir la main de Marie, ND du Laus, avec le chapelet ; demain et lundi, nous pourrons veiller le corps du père Sébastien à la chapelle du Centre Funéraire Aubin, aux heures ouvrables. Prier auprès de lui, tenir la main de Marie.
Puis rester unis, nous soutenir les uns les autres, et enfin essayer de repousser les tentations du diable, diviseur et menteur.
Prions. Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, et mes mains, comme l’offrande. Avec cette eucharistie, nous ouvrons notre marche vers ta Pâques Seigneur Jésus. Accueille Jésus comme une offrande, nos cœurs brisés. Amen.
Mgr Xavier Malle
Evêque de Gap et embrun
C’est avec une immense tristesse que nous vous annonçons que, ce vendredi 28 février, a été retrouvé le corps sans vie du père Sébastien Dubois, curé de Gap. Il s’est donné la mort.
Aujourd’hui, nous pleurons avec tous ceux qui sont affligés par cette mort soudaine : ses proches et ses paroissiens.