Mais la modestie n'abolit pas l'espérance ni l'utopie. En ce sens l'utopie n'est pas une imagination vaine ou creuse. Il suffit de constater, aujourd'hui même, l'extraordinaire dévouement de tant de personnes au service des malades ou afin de rendre encore possible un minimum de vie sociale, pour apercevoir à quel point l'humanité est capable de mobiliser des forces de courage, de ténacité, de persévérance.

 

Ces ressources souvent cachées ou recouvertes par le train-train de vies faciles ou par les lâchetés ordinaires dont nous sommes tous capables, sont la base de nos espérances pour l'avenir : oui, les humains sont aptes à faire face, à ne pas baisser les bras, à vivre une fraternité qui, en d'autres temps, pouvait apparaître comme une formule généreuse mais creuse, bonne à figurer sur le fronton de nos mairies.

 

Il faudra donc quand le temps sera venu, et il faut souhaiter qu'il ne tarde pas trop à venir, que de vrais responsables, des prophètes en ce sens, réveillent ou entretiennent ces énergies de vie et d'audace pour refaire des liens plus ou moins brisés, retrouver une vie économique gravement compromise, redonner force à nos systèmes politiques, continuer à faire vivre une solidarité par-delà les frontières nationales.

 

Car, autre bonne nouvelle, nous nous redécouvrons réellement habitants de cette "maison commune" dont parle le pape François, pour le pire sans doute (pandémies), mais pour le meilleur aussi (découvertes par les scientifiques de médicaments salvateurs).

 

Peut-on ajouter qu'un chrétien s'autorisera à discerner dans ces énergies inattendues les traces de la force de l'Esprit qui donne vie par-delà les désespoirs, les abattements, les morts aux mille visages que nous connaissons trop bien et qui risquent de nous aveugler en nous laissant croire que l'absurde, le non-sens, la mort l'emportent. Ceux-ci reculent en effet si nous mettons notre espérance modeste, notre utopie, dans la foi en la Vie qui ne cesse de ressusciter, et tout simplement de susciter courage, inventivité, sacrifice de soi, dévouement à autrui.

 

Utopie modeste car elle ne promet pas des lendemains enchanteurs, mais elle nous convoque à retrousser nos manches, là où nous serons et avec les (pauvres) moyens dont nous disposerons.

 

Le Vendredi et le Samedi Saints sont suivis de l'aube de Pâques. Une séquence toujours actuelle et féconde.

 

Paul Valadier sj

Jesuite

Revue "Etudes"