'DIALOGUE AVEC NATHAN LE SAGE' À MARTIGUES
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« Nathan le Sage », un spectacle d’amitié et de religions mêlées
Portée par des catholiques et des musulmans d’Istres, la pièce « Nathan le Sage » vante la fraternité interreligieuse autant qu’il en est la manifestation.
Le temps d’un haka (cher, d’ordinaire, aux rugbymen du Pacifique sud), les comédiens miment la guerre que se livrent chrétiens et musulmans dans la Jérusalem du XIIe siècle, durant la troisième croisade. La scène, cocasse, secoue le public d’un rire franc.
En adaptant cette pièce en cinq actes, monument de tolérance du dramaturge allemand Gotthold Ephraim Lessing, porteur de l’esprit des Lumières, ses membres défendent l’amitié entre les cultes, autant qu’ils l’incarnent.
Sur le plateau, des musulmans, des catholiques et des protestants, tous membres de l’AIR. Avec une bonne dose d’humour et une once d’autodérision, le père Jean-François Noël, curé de la paroisse, et Djamel Bedra, recteur de la mosquée d’Istres, sont les premiers à se prêter au jeu. Ils campent respectivement un grand inquisiteur (retors, il va de soi) et un derviche soufi (tiraillé entre sa loyauté pour son sultan et son amitié pour un marchand juif).
Répétitions à l’église et à la mosquée
« La démarche interreligieuse existe à Istres depuis une douzaine d’années, résume le prêtre. Au début, c’était un peu protocolaire : des marches, des lâchers de ballons… » Il y a plusieurs mois, Bernard Kaczmarek, membre de l’AIR qui signe l’adaptation et sa mise en scène, et son épouse Alice proposent de monter une pièce de théâtre.
Le père Jean-François hésite puis lance à Djamel Bedra : « Si vous jouez, je joue ! » Rétrospectivement, ce dernier rit de l’épisode : « Il m’a mis la pression ! » Le président de l’association cultuelle des musulmans d’Istres accepte. « C’était après les attentats du Bataclan,se souvient-il. Il fallait réagir de façon positive, pour démontrer que les croyants de toutes confessions peuvent vivre dans la paix. » Et l’amitié.
Nouée au fil des mois, au gré de répétitions tantôt à l’église, tantôt à la mosquée, elle saute aux yeux sur scène. L’aventure agrège une trentaine de personnes. Laïcs, religieux, enfants et épouses qui, par la réalisation de costumes, de repas, ont pris part au projet. Amitié manifeste, aussi, dans le regard que posent désormais l’un sur l’autre le curé et le recteur. « Nous nous vouvoyions. Nos rapports étaient aimables mais convenus », synthétise le premier. « J’ai traversé des épreuves cette année et Jean-François m’a soutenu », témoigne, ému, le second.
Recueillement à Tibhirine
Tous louent une expérience qui transcende les réticences apparues dans chacune des communautés : « Cela nous a fait bouger sur nos acquis, nos endormissements, nos dogmatismes. »
Après avoir joué dans la région marseillaise, comédiens et bénévoles ont pris le chemin de l’Algérie, avec un temps de recueillement à Tibhirine et deux représentations au Théâtre national d’Alger, les 14 et 15. Un symbole fort. Comme le message porté par le spectacle. Dans un final savoureux, avec Djamel et Jean-François seuls en scène, la pièce s’éloigne du chemin syncrétique tracé par Lessing et choisit de défendre un point de vue dans lequel tous se retrouvent : « La vérité est unique, le chemin est pluriel. »
Bertrand, Kazmareck, metteur en scène : « Nous voulons lutter contre l'idée qu'il suffit de se tolérer entre croyants. On peut faire plus. »
Djamel Bedra, recteur de la mosquée d'Istres : « On ne se sent pas menacé quand on rencontre la foi de l'autre. Au contraire, c'est un enrichissement. »
Jean-François Noël, curé d'Istres : « Ce n'est pas une pièce sur la conviction, mais sur le débat. Ce qu'on reçoit de Dieu, on le reçoit de l'autre. »
Le curé avait mis au défi le recteur de la mosquée : « Si vous jouez, je joue ! » « Je pensais qu'il dirait non », avoue le père Jean-François Noël. Mais Djamel Bedra a dit oui. Et depuis deux ans, à Istres, ville moyenne de la zone industrielle et portuaire de Marseille, un groupe de catholiques, de musulmans et de protestants se rassemble pour jouer une adaptation de Nathan le Sage, pièce sur les religions du Livre au moment des croisades, écrite au XVIIIe siècle par Gotthold Ephraim Lessing.
Au départ du projet, il y a l'association Amitié interreligieuse (Air) de la ville. « On se voyait régulièrement pour l'aïd et le carême, explique Bertrand Kazmareck, co-metteur en scène et acteur de la troupe. Mais on a eu envie d'aller plus loin en montant un spectacle. Au départ, c'était juste pour nous, pour vivre quelque chose de fort tous ensemble. » Bernard et sa femme Alice adaptent le texte, pour y ajouter des clins d'oeil au monde contemporain - Star Wars, les élections, les « gilets jaunes »... -, mais surtout pour en faire évoluer le sens. Pour passer du point de vue initial, « toutes les religions se valent », à quelque chose de plus essentiel : « En vivant profondément notre foi, on trouve la capacité à aimer l'autre, sans chercher à le convertir », explique le père Jean-François. À la première représentation, l'accueil est plus qu'enthousiaste : « Voir Djamel en costume de derviche et moi en grand inquisiteur, déjà, ça a beaucoup fait rire », se souvient le curé. « Le public était aussi bouleversé de voir la bonne entente qui existe entre nous, se rappelle le recteur. Certains jeunes nous ont même dit "Enfin !" Ils étaient en attente d'un moment comme ça. » Après cinq représentations, la troupe a été invitée pour une tournée en Algérie, durant les vacances de février.
Avec deux représentations dans des confréries musulmanes et deux au prestigieux Théâtre national d'Alger. « Je pense que les gens vont être stupéfaits par la pièce », sourit Djamel Bedra. De retour en France, Nathan devrait continuer sa route sur le chemin de la sagesse et de la foi.