L’Église n’échappe pas à cette réalité. Avec toute l’humanité, ni au-dessus, ni en retrait, elle partage les angoisses de ce temps. Mais elle ne doit surtout pas baisser les bras, ni se recroqueviller sur elle-même en attendant que l’orage passe. Engourdie elle aussi par les masques et les gels, les ordres et les contrordres, elle se sait appelée par son Seigneur à accompagner la famille humaine sur ce chemin compliqué et incertain. Elle sait que, même si les vents sont contraires, le Christ est sur le bateau et qu’elle peut mettre en Lui toute sa confiance et toute son espérance. En 1908, alors qu’il se trouvait désespérément seul en plein Hoggar, ayant, à vues humaines, échoué dans tout ce qu’il avait entrepris, sentant sa santé décliner et se désespérant de ne même pas pouvoir, faute de compagnon, célébrer l’eucharistie, ayant même dû renoncer à avoir un tabernacle avec la Présence réelle dans son ermitage du bout du monde, Charles de Foucauld écrivait : « Il y a un mot de la sainte Écriture dont nous devons, je crois, toujours nous souvenir, c’est que Jérusalem a été reconstruite dans l’angoisse des temps (Dn 9, 25). Les difficultés ne sont pas un état passager à laisser passer comme une bourrasque pour nous mettre au travail quand le temps sera calme ; non, elles sont l’état normal. Il faut compter être toute notre vie, pour toutes les bonnes choses que nous voulons faire, dans l’angoisse des temps » [1].
Ces mots, me semble-t-il, n’ont pas pris une ride et correspondent bien à l’époque que nous traversons. Il ne s’agit donc pas d’attendre, en baissant la tête, que viennent des temps où nous pourrons dire : « Quelle paix ! Quelle tranquillité ! » (1 Th. 5, 3), pour nous décider à vivre et à agir. L’épreuve actuelle, les difficultés qu’elle occasionne, les angoisses qu’elle suscite, sont notre temps. L’Esprit de Dieu n’en est pas absent. C’est bien dans ces conditions-là, avec ces contraintes et ces limites bien réelles, « hic et nunc », « ici et maintenant », que nous devons accueillir, vivre et annoncer l’Évangile du Christ. Ne nous laissons donc pas paralyser par la peur ! Notre foi nous appelle à vivre dans l’espérance ce temps particulier dont on ne connaît pas le terme.
Pour ce faire, plusieurs projets concrets, s’inscrivant dans les trois dynamiques diocésaines mises en œuvre l’année dernière, sont en cours de réalisation, et nous aurons à les consolider tout au long de cette année : l’annonce de l’Évangile par le témoignage de nos vies et par de nombreuses initiatives missionnaires à prendre par les paroisses, les services et les mouvements ; la miséricorde et la consolation puisées dans le Cœur de Jésus, auquel nous avons renouvelé la consécration de tout notre diocèse ; la fraternité humaine, la justice sociale et la sauvegarde de la Création, à l’école de Laudato si’ et de la prochaine lettre encyclique du Pape, Fratelli tutti, sur la fraternité.
Je vous propose de traverser ensemble ces temps incertains en nous mettant à l’école de Marie, qui « méditait tous ces événements en son cœur » (Lc. 2, 19) : c’est de cette attitude qu’il faut nous inspirer pour avancer ensemble dans cette période inédite. Les chrétiens sont attendus à cette profondeur spirituelle, qui exige de chacun une démarche de conversion. Peu importe si, pour cela, nous devons renoncer à ce que nous avions programmé, pourvu que nous nous efforcions d’écouter ce que le Seigneur attend de nous, ici et maintenant, et que nous le mettions en pratique. Dans cet esprit, après avoir consulté le Conseil épiscopal et l’équipe de préparation de l’assemblée diocésaine, j’ai pris la décision de renoncer à tenir cette assemblée le 11 octobre au Parc Chanot. J’avais en effet souhaité, en la convoquant initialement pour le 15 mars dernier, qu’elle nous permette de prendre ensemble « un temps de prière, de réflexion, de partage et de débat sur ce dont nous aurions besoin, en diocèse, pour progresser dans la fidélité à l’Évangile et dans notre zèle apostolique » (lettre du 4 décembre 2019). Cet objectif reste à atteindre, mais les contraintes sanitaires prévues actuellement pour de tels rassemblements ne nous permettent pas de vivre cet échange et ce partage sous le mode d’une grande assemblée. Je remercie une nouvelle fois tous ceux et celles qui avaient préparé cet événement, mais qui sentaient bien eux aussi, depuis quelques semaines, que les conditions n’étaient pas réunies.
Il faudra donc, sans changer de cap, avancer autrement. La date du 11 octobre, qui correspond à l’anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II (11 octobre 1962), doit rester pour nous comme un indice, un signe fort, de ce que nous sommes appelés à vivre. En effet, le bon et saint pape Jean XXIII avait choisi cette date pour ouvrir le Concile, précisément parce qu’elle correspondait, dans le calendrier liturgique de l’époque, à la solennité de la maternité divine de Marie, que nous célébrons maintenant chaque 1er janvier. Permettez-moi d’y lire comme un appel à nous inspirer, tout au long de cette année pastorale et aussi longtemps que les circonstances l’imposeront, de l’attitude de Marie, scrutant les signes d’espérance dans l’angoisse des temps, docile à la Parole, disponible à la grâce, prête à partir « en hâte » pour se mettre au service, puisant dans sa Visitation l’élan de son Magnificat, toujours humble et fidèle jusqu’au pied de la Croix, « la première en chemin », du berceau de son Fils à celui de l’Église, étoile de la mission jusqu’à la fin des temps.
Voici donc ce que je vous propose : commencer dès maintenant un itinéraire à la fois marial et synodal, à déployer dans la vie ordinaire, en famille, avec nos voisins, en communauté, en paroisse, dans les services et les mouvements. Des propositions concrètes vous seront très prochainement communiquées pour alimenter votre réflexion, baliser le chemin et recueillir les fruits de vos partages. Et, quand le temps sera venu, après avoir médité la Parole, écouté les appels de l’Esprit, partagé les joies et les tristesses, les espoirs et les angoisses des hommes et des femmes, des jeunes et des anciens, des pauvres et des malades, des prisonniers et des migrants, sans distinction de cultures ni de religions, nous prendrons le temps, si Dieu le veut, de tenir quelques assemblées synodales pour donner à notre Église diocésaine un nouvel élan missionnaire, à la suite de l’unique Sauveur du monde, le Christ Jésus, qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn. 14, 6).
À vous tous, chers frères et sœurs, je souhaite un bon pèlerinage marial et synodal, à l’école de Marie, « la première en chemin » !
+ Jean-Marc Aveline
Le 8 septembre 2020, en la fête de la Nativité de la Vierge Marie