PALLIER LE MALHEUR ET LA DOULEUR, OUVRIR LA PORTE À LA POSSIBLE JOIE
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Président du Comité Éthique et Cancer, j’ai défendu certes la pratique des soins palliatifs mais aussi vivement contesté leur désignation.
Les soins palliatifs sont des soins comme les autres, leur objectif est de soulager lorsqu’il n’est pas question d’éviter la mort. C’est fréquent ! Du spasfon contre une colique néphrétique, du paracétamol contre une fièvre virale ou du colchimax contre une crise de goutte. Qui songerait alors à évoquer des soins palliatifs ? Symptomatiques, tout au plus.
En cas de maladie menaçant la vie, les soins cherchent bien entendu à la préserver. Sinon, si l’objectif ne peut plus être atteint, ils continuent d’être des soins, tout simplement. Les soins adaptés à un stade de l’évolution d’une affection sévère.
Pour ma part, je suis par conséquent soigné avec attention et une peu contestable efficacité. Mon cancer est devenu irréductible, soit, on ne va pas en faire un fromage. Ça arrive encore, je le sais depuis 55 ans ! Je me suis battu pour comprendre pourquoi la bête s’emballe, afin qu’on la maîtrise plus souvent. C’est le cas. Président de La Ligue, j’ai contribué à ce que des moyens considérables soient collectés pour hâter cette recherche, pour aider les victimes des cancers à s’en débarrasser ou à vivre aussi bien que possible avec. Je suis pour ma part bien soigné dans le mépris tactique de l’adversaire qu’on ne peut stopper mais qui n’a pas encore gagné, puisque je suis vivant. Il n’est certes pas question de me préparer à succomber mais de me permettre de vivre aussi intensément que le corps quand même souffrant et les circonstances l’autorisent.
Et ils l’autorisent. Malgré la grisaille, le store levé au petit matin m’offraient jusqu’à vendredi la vue sur le Mont Valérien, me permettait d’évoquer, ému, les milles et plus fusillés du cancer nazi : de d’Estienne d’Orves, Lucien Sampaix, Gabriel Péri, André Bloch, Georges Politzer, Jacques Decour, Missak Manouchian et ses camarades de l’Affiche rouge. Et pourtant ils sont morts et les assassins ont été défaits. Pour le cancer, petite cuillère après petite cuillère, Churchill avait raison, nous le viderons peu à peu de sa substance.
Depuis ce week-end, je m’amuse des formes biscornues des buildings du quartier de La Défense, me remémore les brunchs du dimanche au Chalet des Îles, les parties de barques en amoureux ou en famille, les promenades dans les chemins du Bois de Boulogne, sa faune nocturne, et je suis bien. L’incroyable bâtiment de la fondation Louis Vuitton est là, je suis encore dans l’émerveillement de la céleste exposition Chtchoukine. Je crois avoir aperçu un cheval galoper sur la piste de l’hippodrome de Longchamp. Ce n’était pas Hélène. Ce matin, une immense «culotte de gendarme » donnait à 6h l’illusion du beau temps. Et je suis bien. Vraiment. Je suis bien soigné.
Je m’amuse ce matin à écrire ce billet après avoir déjoué les pièges des déambulations, attaché, autant d’exploits. Ma peau est rasée, je dois sentir le savon frai, de la gaité.
J’ai pu enregistrer des messages audios « stratégiques » pour La Ligue, l’inauguration future et posthume du festival du livre de Mouans-Sartout, début octobre. On me soigne, je vis intensément.
Tant d’êtres aimés viennent me voir, des effluves d’été. Pas trop, tout de même ....
Après des aménagements techniques indispensables, je rentrerai dans mes pénates. Pas de raison que je n’y sois pas bien. Des équipes mobiles de soins - de soins, pourquoi palliatifs - passeront. Pour le cas où. Et puis je m’endormirai le moment venu, pas avant. M’enviez-vous ? C’est une gentille provoc, bien entendu. Mais quand même, puisqu’on a pallié le pire, la fenêtre est vraiment ouverte à la possible joie.
Axel Kahn