MESSAGE DES ÉVÊQUES POUR LA FÊTE DE L’ASSOMPTION
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Le 23 août 1942, pour relever les graves offenses perpétrées contre les Juifs et souligner la dignité de tout homme, de toute femme, le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse – et lui-même gravement handicapé – écrivait une lettre qui eut un retentissement immense.
À l’occasion du 80e anniversaire de cette lettre, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et Président de la Conférence des évêques de France, demande qu’elle soit lue dans nos églises lors des messes de la fête de l’Assomption de la Vierge, le 15 août, ainsi qu’un extrait du discours de clôture de l’assemblée des évêques en avril 2022, qui permet de comprendre le contexte et les raisons de cette lettre :
Extrait du discours de clôture de Mgr Éric de Moulins‐Beaufort lors de l’assemblée plénière d’avril 2022
Il y a cent ans, le 2 mars 1922, le pape Pie XI confirmait Marie, dans le mystère de son Assomption, patronne principale de la France, et sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire. Vingt ans plus tard, le 23 août 1942, le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, pourtant perclus par la maladie, à moitié paralysé, publiait sa lettre pastorale sur la personne humaine, alors que le régime de Vichy avait publié les lois antijuives et contribué aux rafles des nazis. Des personnes courageuses ont distribué ce texte dans les paroisses du diocèse pour qu’il soit lu en chaire. Dans une telle parole, dans de tels actes, nous percevons la France, notre pays, dans ce qu’il a de meilleur et de vrai, dans sa vraie liberté. Un chercheur, spécialiste des violences de masse, Jacques Semelin, a étudié ce qui a rendu possible que les deux‐tiers des Juifs de France échappent à la solution finale.
Quelques‐uns ont été sauvés par des Justes, conclut‐il, beaucoup, en fait par eux‐mêmes, mais ils ont pu le faire parce que quelqu’un, pas toujours mais souvent, un baptisé, leur ont ouvert une porte, offert un déjeuner, plus simplement encore les ont laissé passer sans rien dire ni rien voir. Là se perçoit l’âme chrétienne de notre pays, façonnée par la charité, qui reconnaît le Christ dans toute détresse, le Christ Jésus qui, non seulement est entré dans sa création, mais qui, selon le mot de saint Paul, « s’humilia plus encore » (Ph 2), et selon celui du bientôt saint Charles de Foucauld qui nous a été commenté, est le Christ de l’abjection, celui qui dût se cacher ; dans une telle parole et de telles actes vibre la sainteté ordinaire qui se consume au jour le jour dans le don de soi et se tient prête à se donner tout d’un coup lorsqu’il le faut ; la sainteté ordinaire et extraordinaire qui sait se faire hospitalité lorsqu’il le faut. Il me faut le dire encore : l’âme du cardinal Saliège était indemne de tout antisémitisme et il y a encore trop d’antisémitisme, caché ou non, dans notre pays ; le Christ de l’abjection, il pourrait être aussi dans des personnes âgées qui sentiraient peser sur elles l’attente de l’euthanasie, si celle‐ci venait à être légalisée dans notre pays ; le Christ de l’abjection, il est assurément déjà dans les migrants clandestins ou non que État et notre société peinent à accueillir en les considérant comme des frères ou des sœurs à respecter.
Le 15 août prochain, nous pourrons rendre grâce à Dieu pour la protection de notre Dame sur notre pays et en renouveler la consécration, en suppliant pour que de nombreux Saliège ou Théas se lèvent, de nombreuses Thérèse Dauty, lorsqu’il le faut. Et nous reconnaissons volontiers l’œuvre de Dieu en tant de non‐chrétiens ou de peu chrétiens qui ont su ou savent aussi trouver le geste ou la parole qui amènent de la vie et de l’amour là où la peur et la haine pourraient l’emporter. Notre pays ne se définit pas par la nostalgie de ses grandeurs passées, il ne se grandit pas en prétendant s’entourer de murs, il ne se grandirait pas non plus s’il en venait à renoncer à accompagner les êtres humains jusqu’au bout de leur vie en les entourant de fraternité au profit d’une mort prétendument douce. Notre pays est vivant lorsqu’il porte au milieu des nations la voix du respect de toute personne humaine et de l’espoir de pouvoir nouer une alliance avec elle. Il est vivant dans les personnes qui s’y lèvent pour y vivre de ce respect et de cet espoir.
Et clamor Jerusalem ascendit Lettre pastorale du cardinal Jules Saliège sur la personne humaine, 23 août 1942
« Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe‐t‐il plus ?
Pourquoi sommes‐nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre‐Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement. »
Jules‐Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse
13 août 1942
Source : eglise.catholique.fr