ALERTE DU SECOURS CATHOLIQUE : LA PAUVRETÉ S’AGGRAVE
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« La pauvreté s’aggrave en France et touche en premier les femmes »,
alerte le Secours catholique.
Plus d’un million de bénéficiaires, dont 75% en situation d’extrême pauvreté, ont été recensés en 2022 par l’association qui publie, ce mardi, son rapport annuel sur l'état de la pauvreté en France.
« La pauvreté s'aggrave en France. Et elle touche en premier les femmes.» Ce sont les conclusions du rapport du Secours catholique-Caritas France sur l’état de la pauvreté en 2022, publié ce mardi 14 novembre 2023. L’étude se base sur environ 50.000 fiches renseignées par les personnes accueillies par l’association l’an passé. Elles ont été plus d’un million à bénéficier des services dispensés par les 60.000 bénévoles de la structure. Dans le détail, ce sont 552.400 adultes et 475.100 enfants qui ont été accompagnés. C’est moins qu’en 2017, où environ 1,4 million de personnes avaient été accompagnées, mais en nette augmentation par rapport à 2021 (780.000 bénéficiaires).
Dans un contexte de forte inflation sur l'alimentation (+ 7,3% en 2022 par rapport à l’année précédente selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires) et l'énergie (+ 23,1% en un an selon l’Insee), les statistiques de l’association créée en 1946 montrent « une nette aggravation de la pauvreté en 2022 ». « Tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023, comme en atteste la forte hausse du nombre de personnes faisant appel à l'aide alimentaire des associations », anticipe le rapport.
75% des bénéficiaires en situation d’extrême pauvreté
Parmi les bénéficiaires, les ménages d’un seul adulte avec ou sans enfant sont « surreprésentés ». Les hommes seuls représentent 25% de la population rencontrée par l’association. Les femmes seules, elles, représentent 21%, quand les mères isolées sont 26% des bénéficiaires. « Les ruptures conjugales sont une des raisons majeures pour lesquelles des personnes se tournent vers les associations. 22% des femmes seules et des mères isolées rencontrées mentionnent ainsi une séparation, un abandon ou un divorce récent », détaille le rapport.
Le niveau de vie médian des bénéficiaires baisse en 2022 par rapport à l’année précédente et s’établit à 538 euros par mois. C’est moins de la moitié du seuil de pauvreté -1128 euros en 2022. Plus alarmant, 95% des bénéficiaires vivent sous ce seuil. Et les trois quarts vivent en situation d’extrême pauvreté, c’est-à-dire sous le seuil de 40% du revenu médian - 2091 euros en 2022. C’est dix points de plus par rapport à 2017. Rien qu’entre 2021 et 2022, l’extrême pauvreté a augmenté de trois points. Cela s’explique en grande partie par l’inflation. Les autres facteurs principaux sont l’augmentation du nombre de personnes étrangères sans droit au travail, la hausse de la part de personnes sans ressources et les nombreuses situations de non-recours aux aides sociales
Plus de six personnes sur dix rencontrées sont considérées comme inactives - des personnes âgées de 15 ans ou plus qui ne sont ni en emploi ni au chômage, comme les personnes au foyer, les étudiants ou les retraités - et 23% des ménages n’ont aucune ressource financière. Concernant les demandeurs d’emploi, « le chômage s'installe dans la longue durée pour une part croissante : 60% en 2022 contre 52% en 2012 », détaille l’enquête. En parallèle, l’association conclut que « les prestations sociales continuent de manquer en bonne partie leur cible » : le « non-recours aux droits est en nette hausse », particulièrement chez hommes seuls et les étrangers.
Parmi les ménages en situation de logement stable, 61% étaient confrontés à des impayés, logement en tête. Au total, 47% des ménages sont confrontés à des impayés. « Ces ménages sont aux trois quarts Français, pour moitié locataires du parc social et globalement un peu moins pauvres, mais ils ont des difficultés à faire face aux charges incompressibles qui augmentent, explique l’étude. Le fait d'être parent isolé diminue la capacité à faire face aux imprévus et accroît ainsi le risque de basculer dans l'endettement. »
« Féminisation de la pauvreté »
Concernant les femmes accueillies, leur proportion dans la population du Secours catholique n’a fait qu’augmenter, passant de 52% en 1999 à presque 58% en 2022, avec une forte hausse à partir de 2019. « Cette féminisation de la pauvreté était pressentie. Les premières victimes sont surtout les femmes avec enfants puisque 95% des enfants connus de nos services vivent dans une famille où se trouve une femme », regrette auprès du Figaro Véronique Devise, présidente du Secours catholique.
Cela s'explique d’abord par une hausse du nombre de femmes seules. En 2022, environ 35% de ces femmes sont des mères isolées et 20% sont des femmes seules sans enfant. La crise sanitaire a ensuite eu un impact non négligeable sur cette population. Professionnellement, si une partie d'entre elles travaille, elles sont plus souvent en temps partiel que les hommes (35% contre 16%) et davantage inactives (au foyer, étudiantes, retraitées notamment). « Après un parcours professionnel souvent erratique, la retraite ne pèse pas lourd et les femmes seules peinent à faire face à leurs charges », explique le rapport. Enfin, la forte présence des femmes dans les bénéficiaires étrangers explique cette tendance à la hausse.
De même, la part des jeunes est plus importante que les années précédentes. Ainsi, 85% des 15-25 ans rencontrés vivent dans un ménage sous le seuil d’extrême pauvreté. « Or, cette population ne peut pas toucher le RSA, regrette Véronique Devise. Ce serait pourtant une façon de les sécuriser, à l’instar de ce que font l’Allemagne ou le Royaume-Uni, » Enfin, la part des bénéficiaires de plus de 60 ans a doublé en dix ans pour atteindre 13% en 2022. « Cela peut s’expliquer par les carrières incomplètes des femmes conjuguées à la forte part de non-recours au droit. Une personne sur deux qui a droit au minimum vieillesse ne le demande pas », décrypte la présidente du Secours catholique.
Quant à la population étrangère accueillie, un tiers est en situation régulière, un tiers est en cours de régularisation et un tiers est en situation irrégulière. Une hausse des profils de primo-arrivants dans l’Hexagone est observée, notamment en raison des conséquences de la guerre en Ukraine. L’an passé, « 25% des étrangers arrivés sur le territoire depuis moins d'un an viennent d'Ukraine, ce sont des femmes pour les trois quarts d'entre eux, majoritairement accompagnées d'enfants », détaille l’étude. L’autre facteur est la fin des restrictions imposées par la pandémie de Covid-19. « La proportion de primo-arrivants originaires d'Afrique subsaharienne et du Maghreb retrouve un niveau d'avant crise », est-il précisé.
Créer 20.000 places d’hébergement d’urgence
Face à la situation, Véronique Devise exhorte à « accompagner de manière durable les plus pauvres de notre société », rappelant que «les aides financières ne suffisent pas » - la première demande adressée aux bénévoles est l’écoute (57%). Toutefois, le Secours catholique défend l’indexation des minima sociaux sur le Smic ainsi qu’une revalorisation et une extension du RSA. Alors que le nombre de femmes et d’enfants à la rue augmente, l’association demande la création d’au moins 20.000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires. Parmi d’autres mesures, le Secours catholique milite pour combattre le non-recours aux prestations sociales ou développer une offre de mobilité adaptée aux territoires.
Mais aussi faire reconnaître l'activité des inactifs. « Il y a des personnes qui, certes, sont hors de l’emploi mais effectuent un travail énorme et invisible. Il faut les sortir de l’injustice actuelle », explique Sophie Rigard, chargée de plaidoyer au département « accès digne aux revenus ». Pour aller au-delà de la reconnaissance symbolique, le Secours catholique invite à s’inspirer de différents statuts qui existent déjà et des droits qui leur sont accordés : par exemple, les pompiers volontaires ont un droit à la retraite et une indemnité horaire selon le grade, les élus locaux ont un droit à la formation ou, enfin, l’aidant familial salarié qui acquiert des droits à la retraite sans avoir à verser de cotisations.