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‘JOIE’ PAR MARTIN STEFFENS

  • PAROISSES DE MARTIGUES ET PORT DE BOUC
‘JOIE’ PAR MARTIN STEFFENS

Ce troisième dimanche de l’Avent est dit « de la joie ». « Joie, joie, joie, pleurs de joie ! » écrit Blaise Pascal dans le célèbre « Mémorial », nous donnant une mission pour le reste de l’Avent : « Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. »
 

 

Ce troisième dimanche de l’Avent est dit « de la joie ». Ce mot est redoutable. Car une savante analyse, au lieu de l’honorer, nous éloignera de ce qu’il désigne. On peut en effet rapporter « joie » au latin gaudium, dérivant peut-être du grec ganos, l’éclat… Mais franchement, deux syllabes, ça fait beaucoup pour exprimer l’éclat. Joie n’est pas monosyllabique pour rien. Dans son unique souffle, inspiré ou expiré, elle emporte tout. Dites « joie » et celle-ci vous reprend. Voyez en effet : pour prononcer le mot, on serre d’abord les dents. Il y a dans la joie quelque chose de volontaire. 
 

Gaudete semper, nous enjoint saint Paul en ce dimanche. « Soyez toujours joyeux ». Ce n’est pas un but à atteindre, plus tard. C’est maintenant. Les deux pieds dans la joie, comme l’enfant pieds joints dans la flaque d’eau. Gaudete semper : c’est un commandement, du genre de ceux qui tentent d’arracher un enfant à sa bouderie ou un adulte à son sérieux d’adulte. « Allez, quoi ! Viens ! » Car si l’on ne choisit pas d’être heureux, en se forçant, on peut toutefois décider de l’être. Il suffit de céder. De desserrer les dents. Car, voyez encore : la bouche fait ensuite un « o », tel un trou pour y jeter la pesanteur du monde, comme une percée dans nos chapes de plomb. L’unique syllabe s’accomplit par l’ouverture du visage : le mot « joie » dessine sur nos traits l’interjection ouah !

 

Éclats

 


Les enfants ont leur idiome, leur langue rien qu’à eux. Nul ne leur a appris qu’au commencement d’un jeu, il fallait user de l’expression : « On dirait que… » Nul ne leur a enseigné l’usage, pourtant toujours actuel, du terme « ayé » : « Ayé, je suis caché ! » Un de nos enfants pensait que ce dernier mot déclinait verbalement l’interjection « aïe » : « Je m’ai ayé », disait-il quand il s’était fait mal. Après la correction fraternelle des plus grands, on s’étonna en famille que notre langue, si inventive, n’ait toutefois pas pensé à créer des verbes à partir d’interjections telles que « bof », « mouais », « pfff… », « ouf ! ». Ce qui donnerait : « Pourquoi tu mouaises, tu n’es donc pas content ? ». Ou bien : « Oufons, car nous l’avons échappé belle ! ». Et encore : « Cesse immédiatement de pfffiter et mets tes chaussures. »

 

Cette invention sémantique permettrait au mot « joie » de trouver son étymologie. Laquelle se doit d’être fantaisiste et enfantine. « Apparenté à oui, l’interjection ouah exprime le contentement, la surprise, l’admiration », lit-on dans le dictionnaire. On en tirera donc le verbe « ouaher », qui, à la première personne (mais toute joie est à la première personne) donne : « Dis, que fais-tu, à regarder le paysage ? – J’admire, je m’émerveille… J’ouahe ! »

 

« On dirait que joie vient de ouah !… » Ce n’est pas très sérieux. Ou bien ça l’est comme la joie, qui est joueuse. S’il était possible (ultime fantaisie) de placer un trait d’union entre un mot et un signe de ponctuation, il faudrait l’écrire ainsi : « Joie- ! » La joie s’exclame en éclatant. « Joie, joie, joie, pleurs de joie ! » écrit Blaise Pascal dans le célèbre Mémorial. Ce simple bout de papier qu’il avait cousu dans la doublure de son vêtement, tout près du cœur, gardait la trace de cette « nuit de feu » où il rencontra le Dieu d’amour. Pascal nous y donne une mission pour le reste de l’Avent : « Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. »

 

(1) Dernier livre paru : Dieu, après la peur, Éd. Salvator, 172 p., 16,90 €.

‘JOIE’ PAR MARTIN STEFFENS
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