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'SURPRIS EN FLAGRANT DÉLIT D'HUMANITÉ'

  • PAROISSES DE MARTIGUES ET PORT DE BOUC
La fameuse photo au sujet de laquelle Marcel  Pagnol écrira, aux dernières lignes de La gloire  de mon père : « Oui, il était tout fier de son exploit ; oui, il enverrait une épreuve à son père,  et il montrerait l’autre à toute l’école, comme avait  fait M. Arnaud. J’avais surpris mon cher surhomme  en flagrant délit d’humanité : je sentis que je l’en  aimais davantage. Alors, je chantai la farandole, et je me mis à danser au soleil. »

La fameuse photo au sujet de laquelle Marcel Pagnol écrira, aux dernières lignes de La gloire de mon père : « Oui, il était tout fier de son exploit ; oui, il enverrait une épreuve à son père, et il montrerait l’autre à toute l’école, comme avait fait M. Arnaud. J’avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d’humanité : je sentis que je l’en aimais davantage. Alors, je chantai la farandole, et je me mis à danser au soleil. »

C’était il y a cinquante ans, le 18 avril 1974,

Marcel Pagnol rejoignait la maison du Père.

 

Cela avait donné l’idée au cardinal Roger Etchegaray, alors archevêque de Marseille, de rédiger ce texte encore plus savoureux qu’à l’accoutumée, car particulièrement parfumé aux senteurs des collines.

 

« Surpris en flagrant délit d’humanité » c’est ainsi que Marcel Pagnol couronne la « gloire » de son père, ce « cher surhomme » qu’il surprend, pour une simple histoire de photographie, « en flagrant délit d’humanité ».

 

La mort de « notre Pagnol » touche à ce qu’il y a de plus intime en tout homme, là où se fait ce que Péguy appelait « la greffe mystérieuse du spirituel et du charnel ».

 

L’été dernier à Budapest, quelle ne fut pas ma surprise – et ma fierté – quand on me présenta une édition hongroise de Marius, arraché ainsi au folklore du Vieux-Port pour être hissé sur la scène mondiale : lorsque l’homme parle au naturel avec l’accent et des gestes marseillais, il devient sans peine un frère universel.

 

L’abbé général des Prémontrés a osé lier en une gerbe odoriférante les Sermons de Pagnol, à la façon d’une anthologie de textes mystiques ; il ne l’a pas fait sous le coup de l’élixir du père Gaucher, mais parce que ces pages sont baignées du « lait de l’humaine tendresse » que Shakespeare (un auteur amoureusement traduit par Pagnol) faisait découler de la tendresse divine. « Ses homélies, écrit Dom Norbert, ne fatiguent pas notre vertu pour nous dégoûter du vice. »

 

Pagnol n’a jamais pu imaginer la damnation de Judas à qui il a consacré une de ses pièces les plus émouvantes. À la question qui le tourmentait : « À votre avis, Judas est-il en enfer ? » il fait répondre le Christ lui-même : « Je ne peux pas répondre à votre question.… sinon les gens finiraient par abuser de mon indulgence. »

 

À Marseille, plus qu’ailleurs, Dieu et sa Mère se voient attribuer le titre de « bon ». Cette complicité nonchalante avec la nature, les animaux et les hommes, n’est que le signe d’une sympathie pour tout ce qui respire et scintille au soleil de la vie. « De mourir, dit Panisse, cela ne me fait rien ; mais cela me fait de la peine de quitter la vie. »

 

Pourtant le fond de l’âme provençale, comme le fond de l’air par temps de mistral, est plein de gravité, voire d’angoisse ; mais vous ne le saurez pas, et le bon peuple est d’autant plus volubile qu’il veut être pudique. Quand Audouard « raconte Pagnol », ne va-t-il même pas jusqu’à dire : « Il n’y a que chez nous qu’on arrive à être indifférent avec chaleur ; c’est la forme la plus raffinée de politesse » ?

 

Avec un humour tendre, Pagnol évoque son père instituteur à Aubagne, issu de la race de « ces anticléricaux qui avaient des âmes de missionnaires. Pour faire échec à "Monsieur le Curé" (dont la vertu était supposée feinte), ils vivaient eux-mêmes comme des saints, et leur morale était aussi inflexible que celle des premiers puritains ».

 

Heureuse époque où les « vertus païennes », selon le mot de saint Augustin, permettent à l’homme d’ouvrir un chemin vers Dieu !

 

Quand j’étais au collège, mon professeur de littérature, un vénérable chanoine qui aurait rivalisé avec le père de Pagnol en matière de chasse aux bartavelles, m’incitait peu à lire la « trilogie » car il craignait que je trouve trop courte la morale qui y fleurit. S’il revenait aujourd’hui sur terre, ne se mettrait-il pas d’abord à la recherche du thym sous les bois de Pichauris ou sur les pentes de Garlaban ?

 

De sa « campagne » de La Treille, où il repose, Pagnol ne cesse de rêver aux hommes, aux Marseillais, pour que tous puissent encore, comme son père, être « surpris en flagrant délit d’humanité ».

 

Être humain, simplement humain, quelle grâce déjà ! C’est sentir l’odeur des mains de Dieu qui vous a façonné.

 

+ Roger Cardinal Etchegaray, le 28 avril 1974

 

Source : Eglise à Marseille

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