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LA BONNE NOUVELLE DE LA VIE

  • PAROISSES DE MARTIGUES ET PORT DE BOUC
LA BONNE NOUVELLE DE LA VIE

Depuis le 27 mai et jusqu’au 7 juin 2024, les députés ont entamé l’examen des quelque 3 000 amendements concernant le projet de loi fin de vie. 
 
Le Père François Buet est prêtre, curé de l’ensemble paroissial Saint François d’Assise, médecin en soins palliatifs à la clinique Sainte Elisabeth, et vicaire épiscopal. Il coordonne aussi l’équipe du point d’accueil et d’écoute de Notre-Dame de la Garde, où beaucoup de personnes viennent se confier, demander une prière de consolation ou le sacrement de réconciliation. Son dernier livre :  Aider à renaître – Au cœur des blessures de la vie (Nouvelle Cité, 2023).

A l’occasion de l’inscription de l’IVG dans la constitution et de l’annonce d’un projet de loi sur le suicide assisté, l’Eglise a déploré ces « évolutions » sociétales, réaffirmé son immense inquiétude et ses profondes réserves à leur égard et réaffirmé que « toute vie humaine mérite d’être inconditionnellement respectée et accompagnée avec une authentique fraternité »[1]. Sur quoi l’Eglise fonde-t-elle cette conviction et cet engagement au service de la vie ? 

 

La vie est toujours une bonne nouvelle. Saint Jean-Paul II l’affirmait dans Evangelium Vitae « La vie est toujours un bien », depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. Toute vie humaine est sacrée, inaliénable, inaltérable, irrépétable. Chaque vie est unique et si elle n’existait pas, elle manquerait. Parce que c’est Dieu qui crée la vie ! « Homme et femme, il les créa » (Gn, 1, 27) raconte la Genèse dès les premiers mots de la Bible. Et nous, chrétiens, croyons en outre que le Verbe s’est fait chair. Jésus a été une cellule, puis deux, puis quatre, puis seize, il a vécu tout le cycle du développement embryonnaire, il a été in utero, mystérieusement reconnu par Jean-Baptiste, qui, in utero lui aussi, tressaille à son approche, il a été petit enfant, il a travaillé de ses mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme ; enfin, il ne s’est pas contenté de faire de belles théories sur la souffrance, il l’a endurée, traversée avec nous jusqu’à la mort ! Il a souffert physiquement – pas un centimètre de son corps n’a été épargné -, psychologiquement – « Mon âme est triste à en mourir » (Mt, 26, 38), – relationnellement, lui qui s’est retrouvé presque délaissé par tous ses amis, et même spirituellement – « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt, 27, 46). Le fait que Dieu se soit incarné humainement et ait épousé notre condition humaine dans toutes ses réalités donne à la vie, depuis sa conception naturelle jusqu’à sa fin naturelle et quels que soient les aléas de l’existence (maladie, accident, handicap, …) une dimension sacrée. Et parce que le Christ s’est fait chair, a travaillé, a souffert, est mort et est ressuscité, toute vie, même souffrante, même mortifère, est rejointe par le Christ et associée à sa résurrection. C’est pourquoi l’Eglise s’attachera toujours à défendre la vie, surtout quand elle est fragile ou fragilisée, qu’il s’agisse de l’embryon sans défense, du vieillard en fin de vie, de la personne polyhandicapée en état végétatif, du migrant poussé loin de chez lui à cause de la guerre ou de la pauvreté, du mendiant qui dort dans la rue. Il n’y a pas d’un côté les questions éthiques (avortement, fin de vie, handicap, …) et de l’autre les questions sociales (migrants, grande précarité, …) : c’est toute vie qui est sacrée, quelle qu’elle soit et à tout moment de l’existence, dont le Christ nous invite à prendre soin, à respecter, à protéger, à encourager, à consoler, à relever.

 

Comment comprendre les soubassements intellectuels des transformations sociétales récentes, qui vont à l’encontre de cette vision anthropologique chrétienne, et y répondre ? 

 

Nous sommes dans une société qui choisit d’une part l’éthique de l’autonomie – « Ce que je veux, quand je veux, comme je veux » – et d’autre part, l’éthique contractuelle – « Puisque je te paye, tu dois faire ce que je te demande ». C’est une fausse route, car personne n’est une île isolée. Choisir une IVG ou le suicide assisté concerne la personne qui fait ou demande cet acte, certes, mais aussi son entourage, ou encore les soignants qui l’accompagnent. Il faut sortir d’une éthique de l’autonomie pour rejoindre une éthique de communion, qui, à travers toute décision, recherche le bien de tous. En outre, ce n’est pas parce que je commande un acte auquel je donne mon consentement que cela diminue la gravité de l’acte lui-même. Qu’un patient réclame lui-même à être euthanasié ne diminue pas, pour le soignant ou l’entourage, la gravité de l’acte qui est de donner la mort (ou d’aider à la donner, dans le cas du suicide assisté). Il faut délaisser cette éthique contractuelle pour choisir une éthique de la fraternité, qui prend véritablement soin de la vulnérabilité de la vie, en lui reconnaissant une dignité que rien ne peut lui ôter. Enfin, faut-il rappeler que toute civilisation se base sur des interdits fondamentaux dont l’interdit de tuer ? Une civilisation qui transgresse cet interdit est vouée à disparaître et l’histoire l’a prouvé. Contre cette transgression et pour tracer ce chemin de communion et de fraternité, l’Eglise a toujours été créative et elle doit le demeurer. Regardez l’abbé Fouque et toutes ses œuvres de miséricorde ! Entre ne rien faire pour la vie et la supprimer parce qu’elle nous gêne ou qu’elle est trop dure, l’Eglise doit imaginer des « troisièmes voies » pour prendre soin des plus fragiles qui, considérés, écoutés, consolés, entourés, retrouvent goût à la vie, même à l’approche de la mort. Il ne s’agit pas alors de faire vivre le plus longtemps possible mais, dans le temps qui est donné, d’aider à vivre du mieux possible. C’est l’histoire des soins palliatifs, dans lesquels l’Eglise s’est fortement engagée, pour ouvrir cette troisième voie entre l’euthanasie et l’obstination déraisonnable de maintien des soins. C’est le cas de ces lieux qui accueillent des femmes enceintes en détresse et les soutient matériellement pour qu’elles puissent mener leur grossesse à terme dans de bonnes conditions. C’est ce que nous essayons de vivre ici, à l’accueil Saint Joseph auprès des personnes de la rue dont nous venons de fêter le premier anniversaire. Il faut de l’inventivité, de la compétence, de l’engagement de la part de tous les baptisés, qui ne doivent pas se contenter de manifester leur désapprobation face à ces « évolutions sociétales » mortifères mais doivent mettre la main à la pâte pour inventer ces « troisièmes voies », s’y engager, les soutenir financièrement, dans les secteurs de la bioéthique autant que dans l’action sociale puisque toute vie est sacrée : il en va de la crédibilité de notre attachement à l’Evangile.

 

En lien direct avec les sujets de l’avortement ou de la fin de vie, n’est-ce pas compliqué pour certains professionnels de santé ou ne va-t-il pas devenir impossible de ne pas transgresser l’interdit du « Tu ne tueras point » ? Comment concilier la fidélité évangélique à la réalité de ce que demande, aujourd’hui ou dans des échéances proches, l’exercice de leur profession ? 

 

Comme soignants, il y a des gestes que ne nous pouvons jamais poser et l’objection de conscience, normalement, nous garantit cette liberté de ne pas avoir à le faire. Nous devons exiger sans réserve le respect de l’objection de conscience, qui est, elle aussi, protégée par la Constitution. Comme les berges du fleuve empêchent qu’il devienne un marécage, il nous faut avoir des repères éthiques, des lignes à ne jamais dépasser, sinon nous prenons le risque que notre médecine devienne marécageuse. Je pense que le burn-out de beaucoup de soignants aujourd’hui est dû, entre autres, à la transgression de l’interdit de tuer qu’on leur impose. De plus en plus de soignants chrétiens vivent aujourd’hui un martyre non-sanglant. Ils sont face à des cas de conscience qui les poussent parfois à quitter leur travail, pour chercher un autre engagement en accord avec leurs convictions et la bonne nouvelle de la vie. On ne peut pas tenir durablement seul face à de telles situations : mieux vaut trouver un lieu d’engagement, une équipe, avec qui l’on partage les mêmes repères. A Sainte Elisabeth, tout le monde n’est pas croyant, mais nous sommes tous d’accord pour accompagner la vie jusqu’au bout sans euthanasie ni obstination déraisonnable des soins.

 

Comment tenir à la fois cet engagement au service de la vie… et la compassion infinie que l’Eglise, à la suite du Christ, doit offrir à toute personne, quels qu’aient été ses choix de vie ? 

 

C’est là aussi cette troisième voie à laquelle l’Eglise doit œuvrer. Ne jamais condamner, car le Christ n’a jamais condamné : au contraire, il a accueilli, écouté, pardonné, relevé. A notre tour, il nous faut accueillir chacun, quoi qu’il ait fait, et lui dire que pour lui, pour elle, choisir la vie est toujours possible car le Christ a déversé pour lui, pour elle, des torrents de miséricorde. Au Point-Ecoute de Notre-Dame de la Garde, nous recevons beaucoup de femmes qui viennent déposer le poids de mort qu’elles portent en elles suite à un avortement et qui les empêche d’avancer dans la vie. Je peux témoigner que l’avortement cause souvent une blessure profonde qui laisse des traces pendant longtemps. Certaines femmes parlent d’un boulet qu’elles traînent derrière elles et dont elles ne parviennent pas à se défaire. Nous les accueillons pour les écouter, leur proposer une prière de consolation, leur parler de la miséricorde de Dieu qui emporte tout sur son passage, les libérer au nom du Christ, en ouvrant un chemin où la personne va avancer petit pas par petit pas. Nous pouvons lui proposer de donner un prénom à leur enfant, de prier ensemble, de recevoir le sacrement de réconciliation. Cela peut prendre des mois, des années, c’est la liberté de chacun et nous devons la respecter. Peu à peu, la personne prend conscience des choix de mort, de haine ou de mensonge vis-à-vis de Dieu, des autres ou d’elle-même dont sa vie est marquée, les relit et les met sous le regard de Dieu, pour, avec lui, avancer désormais sur un chemin de vie.

 

Qu’en est-il des personnes qui viennent demander un conseil, par exemple un couple qui se pose la question d’interrompre une grossesse : comment annoncer cette bonne nouvelle de la vie tout en respectant la liberté des personnes ? 

 

A Lourdes, Bernadette rappelle qu’elle est « chargée de le dire, mais pas de le faire croire. » C’est aussi notre mission : dire ! Après, les personnes restent libres. Cependant, je crois que cette bonne nouvelle est inconsciemment attendue dans le cœur de ceux qui viennent demander un conseil. C’est terrible parce que, dans le milieu hospitalier, on ne propose pas d’abord le choix de la vie, mais presque systématiquement celui de la mort… et on regarde de travers ceux qui font le choix de la vie ! Nous, chrétiens, nous avons à dire la « splendeur de la vérité » selon les mots de Jean-Paul II, car que le monde l’attend sans en avoir conscience.

 

Un chemin de vie est-il toujours possible, même quand la mort, la haine ou le mensonge ont pris beaucoup de place dans une existence ? 

 

Oui, et c’est cette bonne nouvelle de la vie que nous annonçons. « Tu dois naître d’en haut » (Jn, 3, 7) affirme Jésus à Nicodème. C’est aussi le message que nous fêtons à Pâques : « Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne » chantons-nous. L’Eglise témoignera toujours de la vie victorieuse sur la mort et sur toutes ces petites morts par lesquelles l’existence nous fait passer. Toute histoire humaine est une histoire de création, de destruction et de recréation, non  seulement lors du passage de la vie terrestre à la vie du ciel, mais au cœur de notre quotidien. Le Christ, qui est mort et ressuscité, nous rejoint dans chacune de nos morts et nous relève. Aucun acte posé, aussi grave soit-il, ne nous condamne aux yeux de Dieu. Sa miséricorde est infinie. Il nous fait renaître à la vie nouvelle. C’est pourquoi l’Eglise, comme son Rédempteur sur la croix, se doit de toujours accueillir, annoncer la bonne nouvelle de la vie, témoigner de la miséricorde inconditionnelle de Dieu, consoler et relever.

[1] Déclaration des évêques de France sur le projet de loi sur la fin de vie, 19 mars 2024

Propos recueillis par Amaury Guillem

Photo: Clinique Sainte Elisabeth

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