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DES HOMMES ET DES DIEUX : CE QU'EN DISENT LES EVEQUES

  • PAROISSE DE MARTIGUES

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"Le film de Xavier Beauvois, qui sort sur les écrans français le 8 septembre, est un film exceptionnel.

 

Pourrais-je dire qu'il s'agit de plus que d’un film ?

 

Oui, si le cinéma n'était qu'un simple objet de distraction, produit d'une industrie. Mais le cinéma, s'il est souvent cela, est bien plus : il est une expression artistique à part entière, il donne à voir et à entendre des hommes, le monde, et même au-delà…

 

D’abord, quelques mots sur un titre un peu mystérieux, « Des hommes et des dieux ».

 

Il est inspiré du psaume 81, versets 6 et 7 : « Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant vous mourrez comme des hommes » ; ces versets sont placés en exergue du film.

 

Xavier Beauvois et toute son équipe se sont mis au service de ce qui les dépasse, de ce qui nous dépasse, car il s’agit bien là d’itinéraires humains dans ce qu'ils ont de plus haut. 

 

Face à la violence et à la peur, le film offre à contempler, et ce verbe est, me semble-t-il, ajusté à cette oeuvre dédiée à des hommes, des religieux, des moines cisterciens, qui vont jusqu'au bout de la fidélité.

 

Chacun connaît dans ses grandes lignes l'histoire des moines de Tibhirine et le film ne nous apprendra rien de nouveau ; il se termine même par des questions restées jusqu'ici sans réponse, celles des circonstances de la mort des sept moines, et de ses auteurs.

 

Aucun suspense, au sens ordinaire ou même trivial du terme, sinon la tension vécue par des hommes situés face au choix radical de leur vie : doivent-ils ou non rester dans le monastère et dans la région où ils savent leur vie en danger ?
 

Le film déroule le temps de ce choix, un temps qui est propre à chacun des religieux. Ce temps passe par la parole échangée certes, mais une parole brève, économe, et de ce fait, juste et nécessaire. Parole entre les frères d'abord, mais aussi avec les autorités militaires et surtout avec les habitants du village avec lequel le monastère fait cause commune.

 

A travers des échanges brefs, le film a l'excellente attitude de nous montrer ces « pauvres » du village déboussolés par ce dont ils sont les victimes, pris qu'ils sont entre la violence de l’armée et d'un pouvoir corrompu et celle des groupes islamistes qui se réclament d'un Islam étranger à leur propre pratique et à leur propre croyance.

 

Le temps du choix, c'est aussi, c'est surtout, le temps du silence, le temps du travail de la terre, le temps de la contemplation de la beauté des arbres et des paysages, et bien sûr le temps de la prière.

 

Au terme, chacun des moines exprimera se décision de rester, et ceci par fidélité. Ils ont donné leur vie en répondant à l'appel du Christ, c'est le même appel qui se poursuit pour eux, peuvent-ils reprendre ce qu'ils ont déjà donné ?

 

Et puis, cet appel prend la forme de la solidarité avec celles et ceux au milieu desquels ils vivent.
 

C'est dans la paix qu'ils expriment leur liberté.

 

Tout ceci est écrit par Xavier Beauvois et son équipe avec une très grande sobriété ; les acteurs sont tous parfaitement à l'unisson – je voudrais nommer chacun d’eux – donnant, je le redis, à « contempler » à la fois des personnes en leur singularité et une communauté fraternelle.

 

Bien sûr, pour le chrétien, le film nous situe au cœur de la foi. C'est le mystère pascal qui est vécu par la communauté de Tibhirine.

 

Une des plus belles scènes du film est celle du « dernier repas » qui rassemble les Frères. La décision est prise, la paix habite les cœurs, tout est accompli. Frère Luc, le médecin, interprété par Mickaël Lonsdale, apporte, à l'étonnement de Frère Christian (Lambert Wilson), deux bonnes bouteilles de vin et fait entendre un enregistrement du « Lac des cygnes ».

 

A la musique de Tchaïkovski, la caméra montre les visages de chacun des Frères. Chacun est vu en gros plan, mais avec tendresse et respect. Et chacun passe du sourire, au rire, aux larmes. 

 

Oui, tout est accompli, le film pourrait s'arrêter là. Peut-être devrait-il s'arrêter là.

  

Continuer, c'est dangereux ; continuer, c'est montrer la violence, c'est risquer de tomber dans le fait divers.

 

Mais le film continue, et il doit continuer jusqu'au « vendredi ». Comment un si beau film, si juste, si humble, pourrait-il déraper ?

 

Certes, la violence est là, mais jamais comme un spectacle.

 

Et la dernière image est celle d'une colonne d'hommes marchant péniblement dans la neige ; une colonne mêlant indistinctement les moines et leurs geôliers ; tous frères ? 

 

Le film a reçu le Grand prix du festival de Cannes. Il a également été distingué par le Prix du jury oecuménique ainsi que par celui de l'Education nationale.

 

Durant sa carrière en salle, et par la suite en vidéo, on peut espérer que de nombreux jeunes pourront le voir et ensuite engager un débat avec leurs enseignants. 

 

Mais le film n'a pas reçu la Palme d'or. Pour quelle raison ?

 

N'ayant pas vu l'ensemble des films de la compétition officielle, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. 

 

Cependant, « Des hommes et des dieux » est dans la droite ligne de ce qui caractérise sans doute le plus fortement le cinéma français : le réalisme.

 

Les plus grands noms de la mise en scène de notre pays appartiennent à cette veine : Jean Renoir, François Truffaut, Maurice Pialat.

 

Et Xavier Beauvois cite comme film qui a inspiré sa démarche, et qu'il a donné à voir à son équipe avant le tournage, les « Onze fioretti de saint François d'Assise » de Roberto Rossellini.

 

L'onirisme, la fantaisie, l'imagination, sont moins portés par nos cinéastes nationaux. Ils sont davantage prisés outre Atlantique, avec pour grands noms David Lynch ou Tim Burton, qui présidait cette année le jury du festival.

 

C'est un film qui appartient à cette famille qui a reçu la Palme d'or, « Oncle Boonmee » d'Apichatpong Weerasethakul.

 

J’ai évoqué le jeu des acteurs. J’ai nommé quelques-uns d’entre eux. J’aimerais aussi mentionner Olivier Rabourdin et la belle humanité, franche, directe, apeurée, qu’il interprète si justement.

 

S’il fallait mentionner une limite, sans doute toucherait-elle la parole trop rare donnée aux villageois, le peu d’éclairages au sujet des débats internes à l’Islam, de l’histoire récente de l’Algérie, de la colonisation et de ses suites.

 

Durant ces années, il y eut dix-neuf martyrs chrétiens, et des dizaines de milliers de victimes musulmanes, dont soixante-dix imams, la plupart égorgés en raison de leur façon (non intégriste) de vivre leur religion.

 

Mais un film doit-il tout montrer, ou bien se définir un objet et s’y tenir, comme c’est le cas ici ?

 

Plus que des réserves, ces points désignent plutôt des questions possibles pour les débats qui suivront la projection du film, même si c’est avant tout au silence qu’il nous conduit.


Voir « Des hommes et des dieux » est nécessaire, surtout pour recevoir le témoignage des moines au service duquel se met le film, son metteur en scène, et tous ceux qui ont travaillé à cette œuvre. 

 

 La violence du monde se manifeste encore en 2010 comme elle le faisait en 1996 en Algérie. Cet été, Michel Germaneau, un humanitaire français de 78 ans a été assassiné ; cet été, dans notre pays, des actes de violence ont été perpétrés.

 

Face à ses situations, on peut osciller entre la dénonciation de personnes, de groupes, estimés « naturellement » porteurs de violence, et une générosité parfois naïve.

 

Les Frères de Tibhirine indiquent une autre voie, cette d’une recherche plus ardue, plus complexe. 

 

 Lucides et libres, ils sont les témoins de cette efficacité qui porte des fruits : ils disent et vivent la fraternité et la désignent, non pas comme un acquis car, dans ce cas, on verse dans l'illusion et l’angélisme, mais comme un projet, comme le seul projet qui soit à hauteur d’humanité. "

 

 

+ Pascal Wintzer
Evêque auxiliaire à Poitiers

 

Responsable de l'Observatoire Foi et Culture

de la Conférence des évêques de France

 

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