FAIRE DE NOUS DU BON PAIN QUI SOIT NOURRITURE POUR LES AUTRES
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Nous voici venus pour fêter un événement passé voici 2000 ans. Evènement extrêmement discret, qui n’est pas raconté dans les récits à l’époque de la naissance, - vers -6 -4 -. Ce n’est qu’après coup que cette naissance a pris du sens, et qu’elle a été racontée par l’évangéliste saint Luc. Elle est racontée de manière théologique, avec les codes scripturaires de l’époque, elle n’en reste pas moins historique. C’est un événement de l’histoire.
La naissance a lieu a Bethlehem, la ville de David, car Joseph est de la descendance de David. Beth = la maison ; lehem = le pain, la nourriture consistante, de base. Bethlehem = la maison du pain. Comme si déjà, avec Jésus, le pain nous était offert, et vous pensez, comme moi, à la dernière cène, où Jésus se donnera en nourriture à ses disciples, et par eux à l’Eglise des siècles à venir, au moment où il prendra du pain et dira « ceci est mon corps livré pour vous ».
Mais nous n’en sommes pas encore là, car pour réaliser du pain, le temps et le savoir-faire sont nécessaires : retourner la terre, semer, attendre le développement et mûrissement, moissonner, battre, cribler, moudre, pétrir, attendre que la pâte lève, cuire. Jésus qui vient de naître n’est pas encore sur la table. Entre sa naissance et sa mort, trente années environ de vie discrète à Nazareth, trois années de vie publique, sa passion et sa mort à Jérusalem. Voilà ce pain cuit à notre table.
Il en est de même pour nous : lorsque nous naissons, nous ne sommes pas encore cuit. Nous le serons par notre contexte familial, de société, par les événements que nous vivons, subis ou choisis, par la foi en Dieu pour ceux qui croient. C’est tout cela qui nous façonne, et si nous y participons, peut faire de nous du pain, du bon pain, qui soit nourriture pour les autres.
Je prends deux exemples qui me marquent, deux chrétiens : Jean-Paul II façonné par le contexte dans lequel il a grandi : la Pologne, qui a subi de plein fouet l’occupation nazi et la domination soviétique. Jean-Paul II a été le résistant face à toute injustice, et le roc de la foi pour les chrétiens. Le deuxième dont nos avons beaucoup entendu parler ce mois de décembre : Nelson Mandela. Issu de famille royale, il passe vingt-sept années en prison. Il dit dans son autobiographie : « il y a eu beaucoup de moments sombres où ma foi en l’humanité a été mise à rude épreuve, mais jamais, je n’ai cédé au désespoir. » Il écrit aussi : « l’oppresseur doit être libéré tout comme l’opprimé. Tous deux sont dépossédés de leur humanité. Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine. Tous deux sont enfermés dans les barreaux de leurs préjugés et de l’étroitesse d’esprit. » C’est ainsi, que libéré, il n’est pas entré dans le cycle de la vengeance vis à vis de ses anciens oppresseurs, mais a eu cette énergie invraisemblable d’aller de l’avant pour la réconciliation, l’unité, le pardon. Il est devenu bon pain pour beaucoup, nourriture, dans le sens où son attitude a fait du bien, a permis de grandir à beaucoup.
L’attitude de Mandela nous parle aussi de celle de Dieu. J’entends souvent dire « comment croire en Dieu, quand on voit tout ce mal dans le monde ? » Argument tout à fait conforme à notre société contemporaine, habituée à voir tout ce qui ne va pas, et si peu habituée à contempler, s’émerveiller des belles personnes, des belles attitudes, des belles initiatives présentes en ce monde. Mais si Mandela a dit que sa foi en l’humanité a été mise à rude épreuve, que pensez de celle de Dieu vis à vis de l’homme ? Si vous ne l’avez jamais fait, réfléchissez à cela un instant. Comment Dieu peut-il toujours croire en l’homme ? Comment peut-il ainsi donner son Fils ? Et pourtant oui ; c’est donc qu’il croit en l’homme plus que nous n’y croyons, plus que nous ne croyons en nous-mêmes. Et si nous l’appelons le Sauveur, c’est bien qu’il est venu nous libérer de ce qui nous enferme en nous-mêmes, de cette haine, de cette vengeance, de ce ressentiment qui nous tient ; et aussi de notre passivité devant ce qui se passe, de notre inertie, de notre lenteur, de notre manque de foi en l’avenir, en l’homme. Nous attendons que tout nous vienne tout cuit, mais c’est nous qui ne sommes pas cuits, c’est nous qui n’entrons pas dans le fait de devenir nourriture. C’est nous qui ne consentons pas à être formé par les événements, à entrer dans la foi, non pas que Dieu est à l’origine des événements que nous subissons, mais qu’il peut nous façonner dans tout cela et par la foi.
A la fin du mois d’octobre, j’ai passé quelques jours de retraite dans un monastère. Le pain frais du petit déjeuner n’arrivait qu’à 7 heures. Je me rappelle, que lorsqu’il est arrivé, une personne qui s’était déjà servi de pain rassis de la veille, est venue remettre dans la corbeille son pain pour en prendre du frais. Ce pain rassis a été rejeté. Quelle est la nourriture que je rejette ? Je ne parle pas seulement de la nourriture terrestre, mais quelles sont les personnes que je rejette, que je mets au rebus ? Le Christ ne met personne au rebus.
Et je termine ainsi. Cette semaine, je suis tombé sur un documentaire sur le royaume Inca. Dans ce royaume, les villages ne pouvaient recevoir l’aide du royaume qu’en donnant une contribution, ne serait-ce que minime. Au lac Titicaca, les villages étaient si pauvres, qu’ils ne donnaient que des poux, disait le documentaire. Ils participaient. Il en est de même avec Dieu : le fils de Dieu a participé à notre nature humaine, par foi en l’homme, pour l’élever ; je ne peux recevoir sa grâce, seulement si je participe, ne serait-ce que minimement, à son royaume de justice, de paix et de joie. L’événement que nous fêtons aujourd’hui est un événement présent. Il vient aujourd’hui par sa grâce.
Benoît Delabre