UN APPEL VENU DU FIN FOND DU SAHARA : LES TRAGEDIES NE SONT PAS MOINS NOMBREUSES QUE CELLES DE LA MEDITERRANEE !
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Découverte dans le désert du Niger d’environ 90 corps d’enfants, de femmes et de quelques hommes morts de soif
Nous sommes le 2 novembre, journée marquée par la mémoire de ceux qui nous ont précédés sur le chemin de cette vie. Hier, nous avons célébré à Tamanrasset la fête des innombrables saints anonymes, cette foule immense que nul ne peut dénombrer.
La petite église venait d’accueillir quelques nouveaux migrants, hommes et femmes, arrivés tout récemment de leur pénible traversée. Mais les chants et les claquements de main n’empêchaient pas de deviner sur les visages la grande tristesse du drame qui venait de se dérouler : la découverte au Niger tout proche d’environ 90 corps d’enfants, de femmes et de quelques hommes morts de soif à la suite d’une panne de camion. Seule une vingtaine d’hommes a survécu.
Tamanrasset n’est quand même pas devenue la « Lampedusa » de l’océan saharien ! Pour cette fois-ci, on sait... Mais combien de cadavres anonymes reposent à même le sol, souvent sans sépulture, victimes fréquentes de passeurs sans scrupules ?
Les tragédies du Sahara ne sont pas moins nombreuses que celles de la Méditerranée. Dans ces immenses étendues, elles sont à l’abri des caméras, touchent moins les sensibilités parce que moins menaçantes pour les rivages européens. Mais le désert engloutit autant de victimes que la mer (le chiffre de 20.000 en 10 ans a été avancé). Les passeurs-trafiquants locaux demeurent sans scrupules devant l’appât de l’argent et de véritables réseaux se sont formés, bien organisés depuis les pays de départ… jusqu’aux destinations improbables.
Lors de sa visite à Lampedusa, le 8 juillet, notre Pape François, parlant des victimes de ce trafic humain, disait dans son homélie : « J’ai récemment écouté l’un de ces frères. Avant d’arriver ici, ils sont passés par les mains de trafiquants, ceux qui exploitent la pauvreté des autres, ces personnes pour qui la pauvreté des autres est une source de revenu. Quelle souffrance ! Et certains n’ont pas pu arriver à destination ».
La tragédie récente du Niger nous ramène à la source des drames qui sévissent dans ces migrations. La pauvreté n’est pas une fatalité, même si elle est la triste réalité quotidienne de populations amenées à aller chercher ailleurs, avec femmes et enfants, un horizon meilleur que celui qu’ils connaissent. Bien sûr, nous sommes démunis devant de telles situations qui nous dépassent, nous ne pouvons que faire face aux cas d’urgence. Mais, au moins… « Demandons au Seigneur la grâce de pleurer sur notre indifférence, de pleurer sur la cruauté qui est dans le monde, en nous, aussi en ceux qui dans l’anonymat prennent des décisions socio-économiques qui ouvrent la voie à ces drames comme celui-ci »… poursuit le Pape.
La pauvreté est souvent le fruit scandaleux de pouvoirs et de décideurs, financiers et économiques, sans scrupules tout aussi coupables que les passeurs. En effet, les causes ne sont pas que locales.
La paupérisation de l’Afrique est due à de nombreux facteurs. Une fois encore, pourquoi les prix des denrées comme le coton, l’arachide, le cacao, le café, sont-ils décidés à Londres, à New-York, à Bruxelles, à Paris ou à Pékin ? Pour le seul profit des pays dont les capitales sont mentionnées, avec bien sûr une fréquente ristourne pour les dirigeants des pays producteurs. Les paysans africains ne sont pas rétribués au juste prix.
Rendons hommage à tous ceux qui luttent sur place ou en Occident pour « le juste prix » ; ils mènent le bon combat de la justice. Que l’on ne puisse pas dire de nous, citoyens du monde attachés à la dignité de toute personne, ces paroles de notre Pape : « Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! »
Tout à l’heure, nous irons, migrants et chrétiens de la paroisse, ensemble, prier sur les tombes du petit cimetière de Tamanrasset. Notre prière enveloppera tous ces milliers de morts anonymes qui reposent dans ces immensités désertiques. Pauvres parmi les plus pauvres, ils ont rejoint le sein d’Abraham. Mais comment franchir l’abime qui s’est ouvert entre le pauvre Lazare et le riche qui lui a fermé son cœur ?
+ Claude, votre frère évêque
Mgr Claude Rault, évêque du Sahara
Cimetière de Tamanrasset