OUVERTURE DE LA CANONISATION DE MAURICE BLONDEL
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Mercredi 4 juin, Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence, ouvre la cause de canonisation de Maurice Blondel.
La philosophe Marie-Jeanne Coutagne (1), présidente de l’association des Amis de Maurice Blondel et postulatrice de la cause, explique combien son travail est allé à contre-courant de la pensée dominante dans l’université laïque et dans une partie de l’Église.
Marie-Jeanne Coutagne : Maurice Blondel nous rappelle que tout chrétien peut chercher Dieu avec son intelligence. Il voit même dans le travail intellectuel une vocation chrétienne à part entière. Sa philosophie, disait-il, est « orante », c’est-à-dire qu’elle est une prière.
Qu’est-ce qui caractérisait sa pensée ?
M.-J. C. : Le maître ouvrage du « philosophe d’Aix », comme on l’appelait, s’intitule L’Action (1893). À chaque fois que nous agissons, dit-il, un dynamisme profond se met en branle en provenance de l’infini ; il nous porte, même si nous en nions l’existence. Son livre se clôt sur la possibilité de rejoindre, dans l’action, le christianisme. Après la Première Guerre mondiale, il fait un pas supplémentaire en nommant cet infini, Dieu. Tout son travail est désormais destiné à montrer l’articulation entre la philosophie et la pensée chrétienne.
Comment est reçue son œuvre ?
M.-J. C. : Elle va susciter de nombreuses polémiques. La publication de sa thèse, L’Action, scandalise la très laïque Sorbonne. Comment un ouvrage de philosophie peut-il envisager une ouverture vers la foi ? On cherche à l’éloigner de Paris en le nommant à Lille puis à Aix-en-Provence. Mais peu à peu ses pairs reconnaissent l’authenticité de sa démarche philosophique et les oppositions s’apaisent à la fin des années 1890. Mais les polémiques les plus violentes vont éclater du côté catholique.
Quelles sont les origines de ces polémiques ?
M.-J. C. : Pour une majorité des théologiens de l’époque, marqués par le thomisme (doctrine héritée de saint Thomas d’Aquin, NDLR), Maurice Blondel cède aux attraits du modernisme, qui défend l’autonomie du sujet et le coupe de Dieu. C’est mal comprendre sa pensée, qui s’inscrit dans celle de saint Augustin : Dieu est plus intérieur à moi-même que moi-même. L’accès à notre intériorité nous ouvre à une présence qui dépasse toute limite. Les tensions vont atteindre des sommets avec la publication de sa lettre sur l’apologétique (la défense de la foi, NDLR), dans laquelle il propose de partir de l’immanence, c’est-à-dire de la compréhension de ce qui nous meut intérieurement.
La polémique se double d’une dimension politique car Maurice Blondel s’oppose frontalement à la vision de Charles Maurras (1868-1952, 2). Pour le philosophe aixois, Maurras réduit le surnaturel à un « postiche », à quelque chose qui vient de l’extérieur, qui nous écrase et emprisonne notre liberté. Blondel est très proche de la pensée du pape Léon XIII, qui défend le ralliement à la démocratie, ce qui est insupportable pour les maurrassiens. Au plus fort des polémiques, il redoutera même une condamnation de la part du Vatican, qui ne viendra jamais car il restera soutenu par Rome.
En quoi le message de Maurice Blondel s’adresse-t-il à nous aujourd’hui ?
M.-J. C. : En sortant de l’École normale supérieure, Blondel s’interroge sur la possibilité d’entrer dans les ordres. Il demande alors conseil à deux prêtres, l’un sulpicien, et, l’autre, l’abbé Huvelin, bien connu pour avoir joué un rôle déterminant dans la conversion de Charles de Foucauld. « Restez dans le monde ! Votre vocation est pleinement laïque », répondent-ils à ce futur père de trois enfants. En ce sens, Blondel est le précurseur de ce que le concile Vatican II (1962-1965) appellera le « sacerdoce commun des baptisés ».
(1) Autrice de Maurice Blondel, La philosophie au risque de la vie, Parole et Silence. 280 p., 18 €.
(2) Penseur et homme politique royaliste, fondateur de l’Action française, soutenu à l’époque par une large frange des catholiques en France.