MEDITATION SUR LE MARIAGE
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Marc Chagall, La création de l'homme, détail
« Est-il permis de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ?» Pour répondre aux pharisiens, Jésus revient au commencement de la création, au projet de Dieu le Père lorsqu’il a créé. Jésus réunit les deux premiers textes de la Bible en un seul. Le premier récit de la création : ‘Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, homme et femme il les créa’, et le second récit, que nous avons entendu en première lecture : ‘à cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et tous deux ne feront plus qu’un’.
Cette différence homme et femme est, dans la bible, la seule différence présente dès la création, avant le premier péché. Le premier péché a dévoyé les relations entre l’homme et la femme, et les autres différences, races, cultures, langues, peuples viennent après avec la descendance des premiers parents et le récit de la tour de Babel. Le philosophe Emmanuel Lévinas dit qu’elle est une « différence tranchant sur les différences », à la fois la première et la plus universelle. Et Luce Irigaray, directeur de recherche en philosophie au CNRS ouvre un de ses ouvrages ainsi : « chaque époque, selon Martin Heidegger, a une chose à penser. Une seulement. La différence sexuelle est celle de notre temps. »
En abordant le thème de la différence sexuelle, je provoque peut-être des peurs ou des boutons chez vous qui m’écoutez. Il est vrai que la différence est longtemps allée de pair avec l’inégalité. C’est vrai des différences de races, cultures, langues…, c’est vrai aussi de la différence sexuelle. Du coup, parler de différences suscite des protestations contre la discrimination. Notre époque en est donc venue à confondre égalité et indifférence des sexes pour ne pas rester dans l’inégalité et la différence des sexes. La question se pose donc : comment penser entre les sexes à la fois l’égalité et la différence ? Un colloque (en 1993) intitulé « homme et femme, l’insaisissable différence » a tenté d’avancer sur cette question. Je n’irai pas plus loin aujourd’hui sur ce sujet, car quelqu’un de la paroisse me disait que cette question de la différence est si sensible, à cause du passé, qu’elle ne peut être entendue.
J’en viens donc à un des sujets qui préoccupe la société française aujourd’hui : le mariage entre deux personnes de même sexe. « Elargir le mariage aux personnes de même sexe ? Ouvrons le débat » est un texte de huit pages de la commission ‘famille et société’ de la conférence des évêques de France (cf. ci-dessous). Je vous le présente.
En premier lieu, la commission constatant qu’ « il n’y a dans la société française, actuellement, pas de débat politique argumenté » demande l’ouverture d’un vrai débat démocratique. Elle précise : « Il s’agit aussi de respecter tous les acteurs de ce débat et de permettre à chacun de réfléchir plus profondément et d’exprimer librement ses convictions. Si toute réticence ou interrogation devant cette réforme du droit de la famille est qualifiée a priori d’ « homophobe », il ne peut y avoir de débat au fond. Il en va de même lorsque la requête des personnes homosexuelles est disqualifiée a priori. »
En deuxième lieu, la commission donne le fondement de la position de l’Eglise Catholique : « Les chrétiens croient en un Dieu qui est Amour et qui donne la vie. Cette vie est marquée par l’altérité sexuelle : « Homme et femme, il les créa », qui est un des bienfaits de la Création (Gn 1,31) et qui préside à la transmission de la vie. Dans l’expérience humaine, seule la relation d’amour entre un homme et une femme peut donner naissance à une nouvelle vie. Cette relation d’amour participe ainsi à la Création de Dieu. L’homme et la femme deviennent en quelque sorte co-créateurs. Pour cette raison, cette relation garde un caractère unique et l’Eglise catholique lui reconnaît un statut particulier. »
En troisième lieu, la commission constate que « pendant longtemps, les personnes homosexuelles ont été condamnées et rejetées. Elles ont fait l’objet de toutes sortes de discriminations et de railleries. Aujourd’hui, cela n’est plus toléré, le droit proscrit toute discrimination et toute incitation à la haine, notamment en raison de l’orientation sexuelle, et il faut se féliciter de cette évolution. » Elle rappelle que la Congrégation pour la doctrine de la foi invitait, dès 1976, les catholiques à une attitude de respect, d’écoute et d’accueil de la personne homosexuelle au cœur de nos sociétés. Dix ans plus tard, la même Congrégation soulignait que les expressions malveillantes ou gestes violents à l’égard des personnes homosexuelles méritaient condamnation. Ces réactions « manifestent un manque de respect pour les autres qui lèse les principes élémentaires sur lesquels se fonde une juste convivialité civile. La dignité propre de toute personne doit toujours être respectée dans les paroles, dans les actions et dans les législations ».
En quatrième lieu, la commission invite à entendre la demande des personnes homosexuelles : « La diversité des pratiques homosexuelles ne doit pas empêcher de prendre au sérieux les aspirations de celles et ceux qui souhaitent s’engager dans un lien stable. » Sous-entendu, c’est au législateur de chercher.
En cinquième lieu, la commission invite à prendre en considération le droit français : « Le discours en faveur de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe part d’une vision tronquée du droit. Il choisit de ne retenir du mariage civil que le lien amoureux et fait alors valoir que refuser le mariage aux personnes de même sexe est une discrimination car elles aussi sont amoureuses. Ne pas leur ouvrir l’accès au mariage revient alors à mettre en doute la sincérité et l’authenticité de leurs sentiments, voire leur capacité d’aimer. Or, il ne s’agit pas de cela. Contrairement à ce qui est soutenu, le mariage n’a jamais été un simple certificat de reconnaissance d’un sentiment amoureux. Le mariage a toujours eu la fonction sociale d’encadrer la transmission de la vie en articulant, dans le domaine personnel et patrimonial, les droits et devoirs des époux, entre eux et à l’égard des enfants à venir. La conception individualiste du mariage, véhiculée par le discours ambiant, ne se trouve pas dans les textes de loi (j’ajoute: ni dans le rituel du mariage à l’église). La haute valeur symbolique du mariage ne vient d’ailleurs pas du sentiment amoureux, par définition éphémère, mais de la profondeur de l’engagement pris par les époux qui acceptent d’entrer dans une union de vie totale. (…) Compte tenu de l’importance de cet engagement, y compris à l’égard des tiers, il est régi par la loi et sa rupture est soustraite au bon vouloir des parties. Le divorce ne peut être prononcé que par le juge qui veillera à la protection des plus faibles et une répartition équitable des biens. » (…). L’accueil des enfants nés de cette union de vie fait partie intégrante de cet engagement. »
La commission continue en partant du droit qui fait le lien entre conjugalité et procréation : « Tout d’abord, en assurant le lien entre conjugalité et procréation, le droit vient nous rappeler que la vie est un don et que chacun la reçoit. Personne ne choisit son père et sa mère, personne ne choisit son lieu ou sa date de naissance. Ce sont pourtant ces « données » qui vont, à jamais, caractériser chacun comme un être unique au monde. »
« Ensuite, faire le lien entre conjugalité et procréation est important pour la reconnaissance de l’égalité des sexes, qui sont l’un comme l’autre indispensables à la vie. Le fait d’être né d’un homme et d’une femme signe notre origine commune, notre appartenance à l’espèce humaine. La dualité sexuelle homme/femme est en effet une « propriété des vivants ».
« Enfin, la lisibilité de la filiation et l’inscription dans une histoire et une lignée sont essentielles pour la construction de l’identité. La Convention des Droits de l’enfant de l’ONU stipule expressément qu’un enfant, dans la mesure du possible, a droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. »
Enfin la commission évalue les conséquences juridiques de la réforme envisagée, en commençant par se demander ce que deviendra la présomption de paternité. Elle ajoute : « Les choses se compliquent encore davantage devant les questions d’adoption et de procréation médicalement assistée. Par exemple, comment concevoir une adoption plénière qui supprime la filiation d’origine et dit que l’enfant est « né de » ses parents adoptifs ? Faut-il faire croire à un enfant qu’il est né de deux hommes ou de deux femmes ? Les complications juridiques sont nombreuses. Tout notre système juridique est basé sur la distinction des sexes, puisque la transmission de la vie passe par la rencontre d’un homme et d’une femme. »
La commission conclue ainsi : « Le propre du pouvoir politique est en effet de défendre non seulement les droits et les libertés individuels, mais aussi et surtout le bien commun. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels. Le bien commun est le bien de la communauté tout entière. Seul le souci du bien commun peut venir arbitrer les conflits de droits individuels. La véritable question est alors de savoir si, dans l’intérêt du bien commun, une institution (le mariage) régie par la loi doit continuer à dire le lien entre conjugalité et procréation, le lien entre l’amour fidèle d’un homme et d’une femme et la naissance d’un enfant, pour rappeler à tous que : la vie est un don ; les deux sexes sont égaux et l’un comme l’autre indispensables à la vie ; la lisibilité de la filiation est essentielle pour l’enfant. »
Vous le voyez, la position de l’Eglise est claire, argumentée bibliquement, anthropologiquement, philosophiquement et juridiquement. Les groupes en faveur du mariage entre deux personnes de même sexe ont seulement comme argument la non-discrimination. Ils cherchent à présenter la position de l’Eglise comme homophobe. Le sujet est grave et mérite un débat.
Prenons conscience de la justesse, de la beauté de ce que nous défendons pour la société civile.
Père Benoît Delabre
Texte complet de la commission 'Famille et Société' de la conférence des êvéques de France (cliquer)