ON NE PEUT ENTRER EN RELATION QU'EN RALENTISSANT
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Je suis allé regarder le film de l’artiste Fabrice LAUTERJUNG à la chapelle Notre-Dame de Miséricorde, avant que cette exposition ne finisse aujourd’hui, dimanche 13 octobre. Ce film est projeté sur le mur opposé au chœur, au fond de la chapelle. Je n’avais pas encore pris le temps d’aller le voir, et je suis venu entre deux activités, après une onction des malades à l’hôpital et avant la préparation des baptêmes pour aujourd’hui.
Le sujet principal du film est le pont levant. Toutes les images sont prises de la salle de contrôle, que ce soit en direct sur le pont ou le canal, ou que ce soit par les écrans de contrôle. Seules les dernières secondes montrent la salle de contrôle, de l’extérieur. Le film est lent, très lent. La caméra est fixe de longues secondes, filmant les véhicules passant d’un côté et de l’autre du pont. Il n’y a pas d’action, sauf le pont qui se lève une fois, laisse passer un gros bateau, et se ferme. La relation entre les deux côtés est coupée, puis reprend. Cela parle d’allers et venues, indirectement de communication.
En même temps est racontée une histoire, par sous-titrage. C’est une histoire d’apprentissage d’une langue étrangère, encore une affaire de communication. L’artiste donne les phrases au compte-goutte. C’est encore lent, très lent, et profondément agaçant, irritant. Il n’y a rien à voir, ni entendre, rien à comprendre avec cette histoire dont la fin est en queue de poisson. J’ai donc été agacé, irrité, d’autant plus que j’avais autre chose à faire.
Puis, je me suis laissé faire et j’ai consenti à cette lenteur et à ce manque de sens. A partir de ce moment, j’ai été bien, et prêt à passer du temps. L’artiste m’a fait ralentir, il m’a contraint, et j’ai accepté la contrainte. Cela m’a parlé de la relation avec les tout-petits, les personnes malades, handicapées, âgées. Je ne peux entrer en relation avec ces personnes qu’en ralentissant, qu’en me mettant à leur rythme. Cela est vrai aussi avec les personnes étrangères, d’une autre culture, d’une autre langue. Cela est vrai avec les personnes de l’histoire, et les historiens savent le temps à consulter les documents pour entrer en relation avec des personnes d’époques à la langue et la culture si différentes de la notre. Cela est vrai avec la Parole de Dieu, avec le Christ. Je ne peux entrer en relation avec lui, qu’en m’arrêtant, en ralentissant.
Le Bienheureux Gérard, né à Martigues, a quitté sa ville natale pour aller à la découverte du Christ par un pèlerinage à Jérusalem sur ses pas et son tombeau. Il a pris du temps pour cela. Il s’est arrêté à Jérusalem pour se faire religieux dans un hospice adjoint à une communauté bénédictine. Le Bienheureux Gérard s’est arrêté pour entrer en relation avec les malades, les pauvres et les pèlerins. Lorsque les croisés ont pris la ville en 1099, ils ont été impressionnés par sa personnalité et par son action. Le Bienheureux Gérard se sépare alors de la communauté bénédictine et fonde l’ordre hospitalier Saint Jean de Jérusalem, devenu dans l’histoire l’ordre de Malte. Lorsqu’il meurt en 1120, il a été gravé sur sa tombe cette épitaphe : « Ci-gît, Gérard, l’homme le plus humble de l’Orient : serviteurs des pauvres et ami des étrangers ; commun en son aspect, en lui resplendissait un coeur noble. Tout dans cette maison démontre sa vertu : attentif à tout, il faisait tout à point nommé, et en prévoyait tous les aspects ; habilement, il tendait la main vers de nombreuses contrées, et il y rassemblait de quoi nourrir les siens. Phoebe s’étant levé dix-sept fois sous la constellation de la Vierge (3 septembre 1120), il fut porté au ciel par les anges. »
Dans la guérison de Naaman, le général syrien, que nous avions en première lecture, celui-ci vient voir l’homme de Dieu, le prophète Elisée. Il vient avec toute sa hauteur, sa renommée de vainqueur, sa richesse, ses préjugés sur la façon dont va se passer la rencontre avec le prophète… Lorsque Elisée envoie son messager pour lui dire de se baigner sept fois dans le Jourdain, il tourne bride de colère, tant Elisée le prend à revers. A l’insistance de ses serviteurs, il accepte de ralentir, de descendre de sa hauteur, de descendre dans le Jourdain. Et il est purifié.
Ralentissons nous-mêmes, descendons, pour entrer en relation avec les petits, les personnes malades, handicapées, âgées.
Que le bienheureux Gérard intercède pour nous, lui qui a été disciple du Christ Jésus, qui lui-même est descendu de sa hauteur divine, pour nous rejoindre, pour guérir nos cœurs malades, lents à croire et durs, nous relever et nous conduire au Père.
Benoît Delabre