REPLONGEONS-NOUS DANS NOS RACINES !
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Statue de sainte Marie-Madeleine offerte à la Paroisse de Martigues
Dernière homélie dominicale de Bastien Romera à Martigues
Chers amis, quelle chance nous avons, nous les chrétiens qui sont en Provence !
Aujourd'hui, la liturgie de l'Eglise nous invite à porter le regard sur deux femmes qui sont un peu comme nos deux grands-mères dans la foi... Sainte Marie-Madeleine, et sa sœur sainte Marthe.
Vous le savez, ces amies de Jésus, chez qui il aimait aller se reposer un peu, - l'évangile nous en témoigne à plusieurs reprises -, ces deux femmes ont une place particulière pour nous dans la famille des disciples directs de Jésus. En effet, selon la tradition, elles sont venues, quelques années après la résurrection, ici-même, sur nos côtes, pour parler de ce Christ, et annoncer aux habitants de ce coin de la Méditerranée la promesse de vie qui est en Jésus.
Aujourd'hui, si vous le voulez bien, replongeons-nous dans nos racines, ré-explorons cette belle tradition, cette belle filiation qui nous relie directement aux témoins oculaires du mystère pascal du Christ Jésus.
Mais avant tout, il faut bien que nous nous mettions d'accord sur ce que l'on entend par tradition : ce n'est pas du tout une pieuse fable, une légende sans fondements, qui satisfait des mentalités populaires, inventée dans les brumes du Moyen-âge. Certains voudraient bien que cela soit ainsi.
Mais non, la tradition, étymologiquement, cela veut dire « ce qui se transmet », comme ce que nous avons de plus cher et que nous voulons léguer aux générations futures. Dans nos mentalités, le mot « tradition » est piégé, mais c'est vraiment une question de transmission, de la communauté qui fait passer, comme on passe un relais. Dans l'Eglise, c'est absolument essentiel, plus premier que l'Ecriture elle-même : parce que le souvenir du Christ, de ce qu'il a fait, dit, vécu, s'est d'abord transmis oralement, plusieurs dizaines d'années, avant qu'on ne le pose par écrit : et c'est ainsi par la tradition orale, par la transmission que s'est constituée l'Ecriture.
Ainsi, il ne faut pas mépriser la Tradition, et surtout pas en régime chrétien, sinon, on risquerait vite de dire n'importe quoi.
Alors, notre tradition provençale, qu'est-ce qu'elle nous transmet, à nous, les chrétiens du XXI è siècle ?
Les saints disciples du Seigneur Marthe, Marie, Lazare, les saintes Maries de la Mer, etc, sont venus ici même, à Marseille, à Tarascon, aux Saintes, à la Sainte Baume. Historiquement, beaucoup d'indices appuient la véracité de ces faits, ceux qui ont fait le pèlerinage à Tarascon sur le tombeau de Sainte Marthe, pendant le carême pourraient en témoigner. En tous cas, qu'il s'agisse effectivement de la Madeleine des Evangiles, de cette Marthe de Béthanie qui aient bien posé le pied sur nos rivages, nous avons beaucoup plus de raisons de l'affirmer que de le rejeter ; mais ce qui importe surtout, c'est que quelques années seulement après le mystère pascal du Christ, des personnes qui l'avaient connu directement ont parlé de lui, ici en Provence, et ont cru et annoncé sa mort et sa résurrection, et la venue du Royaume de Dieu.
Mais que c'est grand ! Que c'est émouvant de se dire que nous sommes pris dans cette histoire de deux mille ans de foi, de transmission, depuis des amis proches de Jésus ! Voilà, ce sont nos origines communautaires, -que nous soyons provençaux de souche ou pas, d'ailleurs, peu importe, à nous qui sommes ici, à Martigues, ce matin.
En cette année de la foi, je crois que c'est très important de redécouvrir ainsi les origines de notre foi ; et vous savez que dimanche prochain un grand pèlerinage des saints de Provence aura lieu à la basilique de Saint Maximin, pour honorer ainsi tous les saints par qui la foi nous a été transmise, et rendre grâce à Dieu pour leur témoignage.
Ainsi, notre histoire est ancrée dans une géographie, notre foi est incarnée dans un lieu, nous ne sommes pas des chrétiens hors-sol, comme on ferait pousser des tomates hors-sol.... Dans notre vie personnelle, c'est aussi vrai, on pourrait dresser une carte des lieux où sont nos racines, des lieux, des moments, où nous avons avancé dans notre vie, où nous avons fait une rencontre de Dieu. Cela nous fait du bien d'en faire mémoire... pas pour se complaire dans de la nostalgie, mais parce qu'on sait toujours mieux où l'on va quand on sait d'où on vient.
Alors, en cette année de la foi, faisons mémoire de notre géographie spirituelle, de notre histoire unique, unique pour chacun, à travers laquelle le Seigneur est passé, pour que nous soyons là, aujourd'hui, ici. La géographie est ainsi très marquée par l'histoire... comme l'urbanisme de notre ville est très marqué par son histoire, son origine, et les étapes de son développement.
Et, voyez-vous, cette géographie, la géographie de nos vies, c'est impressionnant aujourd'hui de voir comment Dieu vient l'habiter. Regardez Jésus, il vient chez Marthe, les visiteurs au chêne de Mambré que nous reconnaissons, avec les yeux de la foi comme la Trinité Sainte elle-même, c'est là où est Abraham qu'ils viennent; et puis Zachée encore, que lui dit Jésus ? « Descends vite car il me faut demeurer chez toi aujourd'hui ».
C'est chez nous, en nous, que Dieu veut venir demeurer, et la proximité des saints en Provence, des saints amis du Christ, qui allait manger chez eux, nous dit cela, cette intimité avec Dieu, à laquelle nous sommes conviés.
On peut toujours croire que l'herbe est plus verte dans le pré du voisin, et
rêver d'un ailleurs, où certainement, la rencontre avec Dieu sera plus facile : une autre époque, où tout le monde était ou sera chrétien, un autre lieu, où la ferveur est plus grande, l'abbaye parfaite, loin de tout, et où les homélies sont bien meilleures...
Vous connaissez peut-être à ce sujet, la réponse que fit la mère de Christian de Chergé, prieur des frères trappistes de Tibhérine, en Algérie, alors que la communauté religieuse hésite à partir ou rester dans un lieu où ils sont en danger, comme on le voit très bien dans le film « Des hommes et des Dieux ». La mère dit à son fils une réponse exigeante, mais vraie : « On n'a jamais vu une fleur se déraciner pour aller trouver ailleurs le soleil ». Voilà, le Seigneur m'a planté ici, et il s'agit pour moi de porter du fruit ici, et maintenant. C'est très libérant de le réaliser, c'est source de grande liberté intérieure.
D'ailleurs, dans cet évangile, ce qui se passe, ce n'est pas que Marthe ait une mission moins belle, ou moins grande que celle de Marie, comme on l'entend souvent. Il ne s'agit pas d'opposer action et contemplation. Le problème est précisément que Marthe n'est pas tout-à-fait plantée là où elle doit être. Elle regarde par-dessus ses fourneaux, et elle voudrait bien être partout à la fois, envoyer aussi quelques racines du côté où elle pense qu'il fait meilleur vivre.
Or, ce que Jésus lui reproche, ce n'est pas de ne pas être à ses pieds, comme Marie-Madeleine, à boire ses paroles. C'est plutôt de ne pas être pleinement, en toute quiétude, en toute stabilité, là où elle doit être. Parce que c'est bien normal qu'elle ne soit pas à côté de sa sœur à faire salon - si vous me permettez l'expression -, avec le Christ, puisque l'évangile nous dit bien que c'est chez elle, pas chez Marie, que Jésus est venu. Là où le Christ l'attend, c'est donc bien dans sa mission d'accueil, qui passe par des choses concrètes, matérielles... Là où la pente devient glissante, c'est quand Marthe se laisse accaparer, submerger par ces préparatifs matériels, parce que du coup, ça la rend jalouse, et elle devient amère, envieuse du sort de sa soeur...
Alors, l'antidote contre la comparaison, qui nous éloigne toujours de ce que Dieu veut pour nous, personnellement, c'est de reconsidérer notre vie à la lumière de notre histoire. Voir ma vie comme unique, faire mémoire de ma géographie intérieure, voir les lieux de visitation de Dieu pour moi.
Aujourd'hui, demandons l'intercession de ces femmes de Béthanie, Marthe et Marie, pour nous aider à découvrir notre enracinement, le lieu où nous puisons notre sève de vie, pour avancer, comme elles dans le service de l'Evangile, et de nos frères. Sainte Marie-Madeleine, priez pour nous, Sainte Marthe, priez pour nous, vous tous nos saints de Provence, priez pour nous.
Amen
Abbé Bastien Romera