LE LIVRE DU MOIS : JÉSUS, L'ENCYCLOPÉDIE
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Jésus donne de ses nouvelles
Exploration rigoureuse de la figure centrale du christianisme, « Jésus. L’encyclopédie » soulève d’inépuisables questions : qui était le Christ ? Quelle place occupe-t-il aujourd’hui ?
Disons-le d’emblée. Que celui qui s’interroge sur l’existence ou la non-existence de Jésus passe son chemin. Cette question est volontairement mise entre parenthèses dans la magistrale encyclopédie réalisée sous la férule de Joseph Doré et Christine Pedotti. Non pas supprimée mais subordonnée à une autre interrogation qui la précède, interrogation à la fois plus actuelle et plus personnelle : « Qui est Jésus ? »
Plus actuelle, car l’existence de Jésus de Nazareth fait l’objet d’un très large consensus scientifique depuis le siècle dernier, point d’aboutissement de deux cents ans de recherches historiques internationales sur la question. Oui, Jésus a existé, c’est un fait attesté par les historiens et aujourd’hui admis par toute personne s’intéressant au sujet de manière objective. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter, par exemple, le livre de l’historien américain Bart D. Ehrman, agnostique à tendance athée, intitulé Did Jesus Exist ? (2012, non traduit). Le « mythe-Jésus » étant ainsi renvoyé aux ténèbres de l’ignorance ou de la mauvaise foi idéologique, il devient possible de se concentrer sur ce que Joseph Doré appelle le « problème-Jésus », dont l’intérêt est de mettre croyants et non-croyants sur un pied d’égalité.
Passionnante enquête scientifique sur l’identité de Jésus
C’est dans cette perspective qu’a été conçu Jésus. L’encyclopédie, dont le premier mérite est de rendre accessible au grand public la recherche la plus en pointe. Historiens, théologiens, philosophes et psychanalystes, de toute confession et conviction, sont convoqués pour nous faire entrer dans une passionnante enquête scientifique sur l’identité de Jésus. On se laisse ainsi embarquer dans le cheminement de la « rumeur » de sa résurrection, à laquelle on ne savait quel crédit accorder, à son « récit », c’est-à-dire à la constitution de l’Evangile qui en rend raison, en passant par sa naissance, son baptême, ses gestes, son enseignement, sa condamnation et sa passion.
Cette exploration, qui suit le fil conducteur de l’Evangile de Luc – le plus complet des quatre –, prend la forme de dizaines d’articles à la fois synthétiques et approfondis, encadrés, dans chaque chapitre, par de courtes séquences narratives, régulièrement titrées « On pourrait raconter l’histoire ainsi… », et par des cartes blanches où témoignent notamment des écrivains (François Cheng, Amos Oz, Sylvie Germain…). Le tout est accompagné d’une très belle iconographie, savamment choisie par l’historien d’art François Boespflug, qui rend délectable la lecture de l’ensemble.
Décider de lui décidera en même temps de nous-mêmes
Mais il y a plus. « Qui est Jésus ? » est aussi une question éminemment personnelle. Car si la science a permis de trancher le sujet de l’existence d’un certain juif nommé « Jésus de Nazareth », elle ne pourra jamais décider pour nous de son identité, de son essence, de ce qu’il prétend être lui-même – le « Fils de Dieu ». Il revient seulement à la science d’éclairer ce problème, le plus objectivement et le plus rigoureusement possible. Comme l’écrit le philosophe Jean-Luc Marion dans sa carte blanche, « nous sommes tous comme Pilate devant lui ». La question de l’existence n’étant plus d’actualité, nous nous retrouvons dans la situation du préfet romain qui, avant de prononcer son verdict, se voit contraint de se renseigner sur l’identité de Jésus : « Es-tu le roi des juifs ? »
Comme Pilate, nous avons aussi le vague pressentiment que tout jugement que nous porterons sur lui sera en même temps un jugement que nous porterons sur nous-mêmes, autrement dit : que décider de lui décidera en même temps de nous-mêmes.
Cette décision admet de multiples déclinaisons : Jésus messie, prophète, homme parmi les hommes… Selon ce que nous déciderons, nous nous apparaîtrons à nous-mêmes comme chrétien, juif, musulman, d’une autre religion ou tout simplement athée, ou encore agnostique – bref, au regard de l’histoire des réponses au « problème-Jésus », nous aurons décidé de l’orientation spirituelle de notre existence.
La possibilité d’une réponse personnelle au « problème-Jésus »
Personne ne peut donc répondre à notre place, surtout dans une société où personne ne nous demande non plus de répondre de notre orientation spirituelle. La possibilité d’une réponse personnelle au « problème-Jésus » est sans doute l’un des fruits de la sécularisation, entendue comme processus de séparation de l’ordre temporel et de l’ordre spirituel, dont Jésus lui-même avait défendu le principe : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Dans l’économie de cette encyclopédie, l’actualité scientifique ménage ainsi la place pour une question à propos de laquelle, quelles que soient les singularités de notre temps, aucune époque n’est plus avancée qu’une autre, car la question de l’identité de Jésus, que nous avons chacun à trancher en conscience, fût-ce pour la rejeter, est sans cesse relancée, de siècle en siècle.
Une occasion privilégiée de se demander ou de se redemander : « Qui est Jésus ? », et donc en même temps : « Qui suis-je face à lui ? »
Emilie Tardivel est maître de conférences à l’Institut catholique de Paris.
Jésus. L’encyclopédie, sous la direction de Joseph Doré et Christine Pedotti, Albin Michel, 846 p., 59 €.