LE LIVRE DU MOIS : HISTOIRE D'UN ALLEMAND
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Comment une nation aussi brillante et cultivée, la patrie de Kant, Goethe, Bach, Wagner, l’Allemagne, a pu enfanter le nazisme ?
Comment Heidegger, le plus grand philosophe du XXème siècle a pu prononcer un discours inaugural en tenue nazie ?
Histoire d'un Allemand est comme son titre l'indique une chronique saisissante, écrite avec talent, de l'installation du nazisme au pouvoir, par un Allemand témoin, mais surtout par une histoire personnelle.
Ce récit est simple, mais pas simpliste. Sébastian Haffner y est précis, intéressant, et perspicace. Il préfigurait des années auparavant ce qu'allait être les six années de barbarie nazie. Et voyait autour de lui certains indices : la haine, la bêtise, la propagande, tout cela sévissant dans son pays...
C'est bien pour cela qu'il faut lire Haffner (et évidemment d'autres auteurs). Pour analyser la puissante arrivée du racisme au pouvoir et au cœur de la vie quotidienne des Allemands.
Pour que cela ne se reproduise plus.
Oui, c'est peut-être "banal" de dire cela en évoquant le génocide juif. C'est une espérance : que grâce à une œuvre comme celle de Sébastian Haffner, grâce à ce très fort témoignage, on réfléchisse et on pense.
Haffner décrit bien l'endoctrinement, aspect connu du nazisme. Ce qui est moins courant est la description qu'il fait du lâche bonheur de s'abandonner à la collectivité et – incroyable mais vrai - de la camaraderie, de la fraternité :
"Jamais je n'aurais dû me rendre dans ce camp. J'étais pris au piège de la camaraderie. Pendant la journée on n'avait jamais le temps de penser, jamais l'occasion d'être un "moi". Pendant la journée, la camaraderie était un bonheur. Aucun doute : une espèce de bonheur s'épanouit dans ces camps, qui est le bonheur de la camaraderie. Bonheur matinal de se retrouver ensemble en plein air, bonheur de se retrouver ensemble nus comme des vers sous la douche chaude, de partager ensemble les paquets que tantôt l'un, tantôt l'autre, recevait de sa famille, de partager ensemble la responsabilité d'une bévue commise par l'un ou l'autre [...]
Qui niera que tout cela est un bonheur ? Qui niera qu'il existe dans la nature humaine une aspiration à ce bonheur que la vie civile, normale et pacifique ne peut combler ?
Moi, en tout cas, je ne le nierai pas, et j'affirme avec force que c'est précisément cette camaraderie qui peut devenir un des plus terribles instruments de la déshumanisation - et qu'ils le sont devenus entre les mains des nazis. C'est là le grand appeau, l'appât majeur dont ils se servent. Ils ont submergé les Allemands de cet alcool de la camaraderie..."