NOTRE FEUILLETON DE L'ETE : JESUS, LE DIEU DE MA VIE ! (1)
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Plateau de l'Aubrac
Comment exprimer l’inexplicable ?
La foi en la divinité du Christ n’est pas d’abord une vérité en laquelle j’ai cru, mais une réalité qui m’a saisi d’emblée tout entier. J’y suis tombé en quelque sorte dedans quand j’étais tout petit. Et peut-être même avant ! J’en ai été imprégné et marqué pour la suite de mon histoire.
Quelle histoire ?
Je suis né au double midi de la France et d’un jour de décembre, à l’heure, m’a dit ma mère, où l’angélus sonnait. Le premier son que mes oreilles ont donc entendu a été celui de ce carillon de l’église, rappelant à la terre l’Incarnation du Verbe. Quatre jours plus tard, le baptême faisait de moi, sans coup férir, un fils de Dieu, appelé à la foi en Christ. C’est ainsi que, sans que j’ai pu même m’en rendre compte, a été déposé en moi comme une orientation native en la divinité de celui que tout le monde priait alentour en l’appelant du nom de Jésus.
Jésus ?
Je n’avais pas à me demander s’il était Dieu, pas plus qu’à me questionner pour savoir s’il y avait un Dieu. Tout, dans ce que je percevais, entendais, sentais et vivais, le donnait à comprendre. Comment en aurais-je douté ? Je voyais bien qu’au seul énoncé de ce nom, le visage de ma mère s’éclairait. Que l’attitude de mon père devenait doucement grave. Que chaque dimanche, en cette église de village où tout un monde se rassemblait avec un air de devoir sérieux à accomplir et de fête familière à célébrer, quelque chose se passait. Et au nom de Jésus précisément.
Quelque chose qui dépassait, en intensité et en justesse, tout ce qui se vivait ailleurs ou autrement. Là, bon-papa en chapeau melon, bonne-maman en manteau d’astrakan, grand-père avec sa blouse paysanne et grand-mère sanglée dans son tablier de coton noir regardaient ensemble, et avec tout le monde dans la même direction. La lampe du tabernacle ! Pas question de s’impatienter en attendant que le rouge passe au vert. Devant Jésus on ne bronchait pas. Mes cinq frères et sœurs eux-mêmes, du plus grand au plus petit, n’auraient pas bougé pour un empire. Il n’était donc pas question de « remuer » ou de « mal se tenir » devant ce Jésus-là.
Qu’importe si les subtilités du dogme pouvaient échapper à mon âme d’enfant, à l’énoncé du Credo chanté par tous, à pleine voix ! Malgré lapsus et calembours pouvant concerner cet « engendré non pas créé, né du Père avant tous les siècles », il était bien clair que « Jésus Christ son fils unique », c’était un « vrai Dieu né du vrai Dieu ».
Allez donc expliquer cela ! Mais à quoi bon expliquer ce qu’à l’évidence tout montrait comme étant vrai ?
A cause de Lui, Jésus, on vivait dans la joie et dans la paix. Quelque chose d’indicible. Pour Lui, on sacrifiait du temps. Avec Lui, on goûtait du bon temps. Manifestement, en sa présence, on ne comptait pas le temps. Ces réalités-là ne s’oublient pas. Elles habitent un cœur. Elles marquent une âme. Elles incrustent la foi au tréfonds de l’être mieux que toutes les leçons de catéchisme ou les cours de théologie. Avec du recul, on se dit qu’il doit bien être vivant « ce Jésus », pour parler si vrai et si fort, sans même se laisser voir. Pour laisser la trace dans le cœur de « ces raisons que la raison que la raison ne connait point ». Et c’est ainsi que la foi en la divinité du Verbe s’est inscrite dès le plus jeune âge dans mon âme d’enfant. A l’âge de tous les grands « pourquoi » on en reste marqué pour la suite des ans.
Aux approches des fêtes de Noël, de Pâques et de l’Assomption, on pouvait assister à un étrange spectacle. Le village presque tout entier défilait vers l’église. Une église où « Monsieur le Curé » avait fait annoncer qu’il « se tiendrait en permanence » à telle et telle heure « pour entendre les confessions ». Les femmes, dès les pâleurs du petit matin, glissaient doucement, et les hommes, aux heures crépusculaires du soir, montaient pesamment vers l’église.
Renseignements pris auprès de ma mère, il devenait clair que cette démarche mystérieuse et grave concernait encore Jésus. Un Jésus à qui on pouvait donc toujours aller pour lui demander, tout simplement, le pardon de ses péchés. Il devait bien avoir le pouvoir de les enlever, quand on voyait revenir toutes ces dames, guillerettes, et tous ces grands moustachus, le cœur léger ! Que voulez-vous, il y a des signes qui ne trichent pas. Des expériences que l’on n’oublie pas. Je constatais bien que ma mère et mes sœurs étaient encore plus belles quand elles revenaient de confesse. Et que la joie qui rayonnait alors des cœurs, au sortir de la grand-messe suivant cette plongée dans la contrition, devait ainsi avoir sa source quelque part du côté du ciel. De ce ciel où le Credo proclamait justement qu’il y était « monté le troisième jour », une fois « ressuscité des morts », pour s’y asseoir « à la droite du Père ». Et de là-haut, il pardonnait les péchés du monde !
La vieille sœur Marie du Calvaire marchait toute courbée. Son visage était marquée de mille rides ; ça non ! Dans toute l’école, personne n’aurait osé dire qu’elle était belle. N’empêche que, le Vendredi Saint, quand elle nous expliquait « les stations du chemin de croix » et qu’on la voyait pleurer doucement à la hauteur de la septième où « Véronique essuie la face de Jésus » (tant pis pour l’exégèse !), on ne pouvait que se dire que ce n’était pas rien ce que Jésus avait souffert un jour, pour nous, sur la croix.
Eh quoi, ne fallait-il pas être plus qu’un homme pour mourir ainsi en disant à l’adresse de tous ses bourreaux : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ? Une chose était sûre en tout cas : c’est qu’il était bien « ressuscité le troisième jour » puisque le village tout entier revêtait ce jour-là un air de fête qui ne mentait pas, avec la flamme de tous ces cierges en fleur, les volées de cloches dans l’azur et le parfum des premiers lilas. Il y avait là un miracle qui ne trompait pas !
Frère Pierre-Marie Delfieux
"Sources Vives"
A suivre dimanche prochain....