VOS NOMS SONT INSCRITS DANS LES CIEUX
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Jésus envoie soixante douze disciples, envoi qui est propre à Luc dont le nombre 72 signifie toutes les nations. Il les envoie deux par deux leur demandant de dire deux choses : « Paix » et « le Royaume de Dieu est tout proche de vous ». Au retour tout joyeux des disciples, Jésus les invite à ne pas se réjouir de ce que les esprits mauvais leur sont soumis mais « réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » C’est cette phrase de Jésus qui m’a habité cette semaine.
Nos noms sont inscrits dans les Cieux. Le prophète Isaïe dit : « tu as du prix à mes yeux et je t’aime » ou bien « Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas. Car je t'ai gravée sur les paumes de mes mains. » Cet amour inconditionnel de Dieu est notre joie, notre rempart, notre rocher. Je suis aimé non parce que je suis capable de faire ceci ou cela, mais de manière inconditionnelle. Et si je ne suis pas capable de faire ceci ou cela, je suis tout autant aimé.
Lorsque je rencontre des familles au moment des obsèques du père ou de la mère, je demande à chacun un souvenir vécu avec le défunt. Il ressort toujours un moment privilégié passé avec le défunt, à part des autres membres de la fratrie. C’est par le moment privilégié, particulier vécu, que l’enfant a accès à l’amour particulier et inconditionnel. « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». Et je vous invite, parents et grands-parents à avoir des temps particuliers avec chacun de vos enfants et petits-enfants.
« Je t’ai gravé sur les paumes de mes mains » dit Dieu par la bouche du prophète Isaïe. L’amour de Dieu pour nous est gravé sur les mains du Christ, par les plaies de sa passion. La Croix du Christ est le seul orgueil de Paul, le signe de cet amour pour lui, au-delà de la circoncision, marque dans sa chair de l’alliance avec Dieu, au-delà de la Loi, de ce qu’il est ou non capable de faire.
Paul ajoute : « par la croix, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. » Qu’est-ce à dire « le monde est crucifié pour moi » ? Allons voir ce que dit Paul en d’autres endroits : « tout m’est permis, mais tout n’est pas profitable ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai dominer par rien. » (1 Corinthiens 6, 12), et aussi : « Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s'ils ne pleuraient pas, ceux qui sont heureux, comme s'ils n'étaient pas heureux, ceux qui font des achats, comme s'ils ne possédaient rien, ceux qui tirent profit de ce monde, comme s'ils n'en profitaient pas. Car ce monde tel que nous le voyons est en train de passer. » (1 corinthiens 7, 29-31) Si nous pouvons user de tout en ce monde, il s’agit que cela soit toujours pour la Gloire de Dieu, en conformité avec notre vocation humaine et divine. Comme chrétiens, si nous voulons suivre le Christ, celui-ci appelle chacun à faire des choix, à « faire une croix » sur certains comportements.
Et la deuxième partie de la phrase : « par la croix, je suis crucifié pour le monde ». Les passages de Paul sont nombreux pour illustrer ce propos. En voici deux : « A tout moment, nous subissons l'épreuve, mais nous ne sommes pas écrasés ; nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. Partout et toujours, nous subissons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. » (2 corinthiens 4, 8-11) et « nous nous présentons comme de vrais ministres de Dieu par notre vie entière : toute notre persévérance, les détresses, les difficultés et les angoisses, les coups de bâton, la prison et les émeutes, les fatigues, les nuits sans dormir et les journées sans manger, la chasteté, la connaissance de Dieu, la patience, la bonté, la sainteté de l'esprit, la sincérité de l'amour, la loyauté de la parole, la puissance qui vient de Dieu ; nous nous présentons avec les armes des justes pour attaquer et pour nous défendre, dans la gloire et le mépris, dans la bonne et la mauvaise réputation. On nous traite de menteurs, et nous disons la vérité ; de gens obscurs, et nous sommes très connus ; on nous croit mourants, et nous sommes bien vivants ; on nous punit, mais sans nous faire mourir ; on nous croit tristes, et nous sommes toujours joyeux ; pauvres, et nous faisons tant de riches ; démunis de tout, et nous possédons tout. (2 corinthiens 6, 8-10)
Voici un exemple parmi d’autres pour illustrer ce propos de Paul. Dans l’histoire de l’Eglise, il en existe des quantités. Au début de l'hiver 1839, à l’âge de 47 ans, Jeanne JUGAN recueille une vieille femme aveugle et infirme à qui elle donne jusqu'à son lit, s’installant elle-même au grenier. C'est l'humble début d'une grande œuvre. Dans les années qui suivent, quelques jeunes femmes viennent l'assister dans sa nouvelle tâche, les personnes recueillies étant de plus en plus nombreuses. Une petite communauté se forme. Deux ou trois années plus tard, elle commence la quête.
En mai 1842, la petite association précise son règlement de vie et de travail hospitalier, inspiré de la règle des Frères de Saint Jean de Dieu. Jeanne Jugan en est élue la supérieure religieuse, en présence de l'abbé Auguste Le Pailleur, vicaire à Saint-Servan. Le nom de « Servantes des Pauvres » est adopté. En décembre 1843, Jeanne est réélue supérieure. Quelques jours plus tard, de sa propre autorité, l'abbé Le Pailleur annule l'élection et choisit Marie Jamet, une des trois autres membres, pour la remplacer.
En 1844, les « Servantes des Pauvres » deviennent les « Sœurs des Pauvres ». L'année suivante, l'Académie française décerne à Jeanne Jugan, pour son œuvre, le prix Montyon. Jeanne devient célèbre, les journalistes s'intéressent à elle. En 1846, elle fonde deux nouvelles maisons à Rennes, et à Dinan. D'autres maisons sont ouvertes partout en France. Il en existe encore une à Marseille, celle d’Aix-en-Provence ayant du fermer.
En 1852, Jeanne Jugan est définitivement écartée par l'abbé Le Pailleur de toute responsabilité dans la congrégation. Il lui signifie qu'elle doit cesser toute relation suivie avec les bienfaiteurs. Elle doit se considérer comme une simple sœur, sans autorité ni responsabilité. Jeanne Jugan vit ce calvaire au noviciat de Saint-Pern où elle a été reléguée. Aux novices, on enseigne que l'abbé Le Pailleur est le fondateur de la congrégation... Jeanne Jugan vit cette épreuve morale dans la paix et la sérénité jusqu’à sa mort le 28 août 1879. Son nom n’est plus inscrit comme fondatrice de la congrégation, et sur la croix de sa tombe est écrit : 3ème sœur de la congrégation. Mais son nom est inscrit dans les Cieux, et cela lui a donné sa paix. Jean-Paul II l’a béatifiée, Benoit XVI canonisée.
Ainsi l’amour de Dieu est notre solidité, notre assurance. Si nous sommes établis dans cet amour, nous n’avons plus à être jaloux les uns des autres. Nous en avons un bel exemple avec l’encyclique du pape François « Lumen fidei » : elle est manifestement de Benoît XVI, signée par François. Belle humilité de l’un et de l’autre : Benoît XVI accepte de voir un de ses écrits signé par un autre, et pour François de signer un texte qu’il n’a pas écrit, sans doute seulement retouché. Le plus important pour eux deux est d’avoir leur nom inscrit dans les Cieux.
Benoît Delabre